— Paul Otchakovsky-Laurens

La Voix sombre

Ryoko Sekiguchi

Il faut entendre le titre La Voix sombre dans les deux sens possibles. La tristesse, mais aussi la disparition. Ce livre est en effet une suite de pensées sur ce qu’il reste d’une voix quand celle ou celui à qui elle appartenait n’est plus. Qu’est-ce qu’une voix enregistrée ? Qu’est ce que la trace que laisse une voix ? est-elle matérielle, corporelle ? Et de là, le livre s’étend à l’image, aux odeurs, et puis il devient une réflexion sur l’absence, la mort.

 

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Traductions

Russie : Ad Marginem | USA : Threadsuns Press

La presse

Ryoko Sekiguchi, une résonance déchirante


Dans ce petit traité, gît une voix disparue : le grand-père de l’auteure, mort au Japon. Celle-ci l’apprit un jour au téléphone. La douleur de la perte s’augmente de la douleur de l’exil, car Ryoko Sekiguchi vit en France. L’absence et la distance privent de la notion même de la mort, « évaporée » en disparition. La quête littéraire de cette voix, « incarnation du présent de la personne » , lutte contre l’abstraction du deuil. « La voix trouble la temporalité »  : c’est le constat sur lequel repose le livre. De la voix éteinte aux voix entendues au téléphone, à la radio, l’écrivaine cerne au plus près ce qui, dans le phénomène vocal, échappe à la mort sans la nier. « La voix est la seule partie du corps qu’on ne puisse pas enterrer. » Traductrice (notamment d’Atiq Rahimi), Sekiguchi écrit comme on écoute, prêtant une attention aiguë aux voix que la radio dépouille et délivre, « détachées de leur appareil, qui est le corps ». Dans la voix d’Edouard Glissant entendue sur les ondes quelque temps avant sa fin, elle capte la mort au travail : « Sa voix disait : le corps qui m’abrite va bientôt disparaître. »


La délicatesse et la précision de la pensée s’accompagnent d’une réserve, d’une hésitation devant les questions immémoriales qu’elle pose, et auquel, la plupart du temps, seul le silence répond, dans les interlignes que ménage l’auteur. « Et toutes les voix qui n’ont pas été enregistrées ? Demeurent-elles encore dans l’air, changé es en ondes évanescentes, quoique incapables d’atteindre les oreilles des vivants ? » Le mouvement du livre m’a fait penser au film de Brian de Palma Blow Out, dans lequel, à l’instar du Blow-Up d’Antonioni où David Hemmings agrandissait une photo et y surprenait, dans l’épaisseur d’un buisson, la main d’un cadavre, le héros fouille une bande magnétique, décompose les sons amalgamés, décèle et entend soudain un cri de détresse. Sekiguchi dégage de la matière conceptuelle et muette des éléments sonores et concrets : un rythme et une formulation justes, un accent familier, une résonance déchirante. C’est ce qui fait la beauté de ce petit livre, dont les lignes font un archipel dans une étendue de silence préservé, croissant tandis que les phrases s’amenuisent jusqu’au murmure. Lu à voix haute, la Voix sombre fera entendre, à qui saura le faire sien, ses propres voix « chères qui se sont tues ».


Denis Podalydès, Libération, 23-24 avril 2016.



Éloge de l’ombre de la voix


On reconnaît un écrivain a sa voix. II n’est que de le lire pour l’identifier. Un livre d’où elle ne se dégage pas, quand bien même d’autres l’appelleraient style, ton ou petite musique, n’est pas d’un écrivain mais d’un auteur. Une page, un paragraphe, parfois même une phrase suffisent à mettre un nom sur un texte, des lors que l’on prête l’oreille au son qu’il émet. S’il est d’un inconnu qui signe là son premier roman, la voix suffit à flairer un nouvel écrivain. Ou pas. Elle permet de savoir à qui on a affaire, et qu’un tri s’opère. Qu’il s’agisse de Modiano, de Proust ou de Duras, la voix qui émane du livre ne trompe pas. Avec les étrangers, c’est plus délicat, car la voix peut varier selon le traducteur, celui-ci superposant la sienne au romancier qu’il interprète en français. Mais, des écrivains que l’on a eu le privilège de côtoyer et d’aimer, on retient au fond davantage la voix de la personne que celle de ses écrits, lesquels sont avant tout le reflet de son travail.


Des disparus dont l’absence nous dévaste, nous conservons des images si tenues, des odeurs si fugaces, des écrits si durables, mais leur voix ! Nous pouvons en rêver tout autant. La présence des morts passe souvent par elle, de leur vivant, on ne l’écoute pas tant elle fait corps avec eux, après, elle revient nous hanter si fort qu’elle peut faire corps à nouveau mais avec nous. La voix est la seule partie du corps qu’on ne peut enterrer. Les cordes vocales on peut, pas la voix. A la tristesse née de la disparition s’ajoute la prise de conscience que jamais plus nous n’entendrons le timbre familier de l’être cher, ses silences aussi. Les photos ne sont que des traces, quand la voix est aussi un prolongement du corps.


Poétesse et traductrice, Ryoko Sekiguchi est une Japonaise de Paris qui écrit en français depuis 2003. La Voix sombre, petit livre car bref et compact, est porte par une lumière intérieure que n’annonce pas son titre. De méditation sur la vraie voix de nos semblables éclipses a jamais émerge une singulière voix d’écrivain. Sa double culture, qui lui fait naturellement comparer les moeurs japonaises et françaises, l’a poussée à confronter l’absence de culture de la voix enregistrée dans son pays d’origine avec l’abondance de voix enregistrées dans son pays d’adoption. Ce constat lui est venu à l’écoute, régulière, passionnée et à toute heure, de France Culture, exceptionnel conservatoire de voix. La radio étant par excellence un support fantomatique, Ryoko Sekiguchi s’est laisse caresser par des fantômes de voix au fil de ses réflexions nouées en fragments. C’est aussi que ce media s’adresse publiquement à chacun de nous personnellement, il nous parle à l’oreille, parfois même en chuchotant.


Le souvenir de la voix de son grand-père quelle n’a pas enregistrée hante ses pensées. N’en demeure que sa voix mentale. Car une exilée a encore plus de mal à croire à la mort de l’être cher, il est encore plus long à mourir, elle l’a apprise par un coup de fil du Japon, par une voix lui annonçant qu’elle n’entendrait plus jamais « sa » voix. Elle évoque le grain de la voix avec la sensualité généralement réservée à célébrer le grain de beauté. Ce qu’elle dit du timbre de ceux qui sentent leur mort proche bouleverse par l’éclat de sa vérité poétique. « Leur voix en quelque sorte habillée pour l’au-delà [...] qui prévient qu’elle ne se suivra plus, quelle atteint à son terme, comme une bande magnétique qui se termine donne des signes que la fin approche, par un grésillement ou de petites coupures ». Avec une légèreté et une délicatesse mêlées de gravite, Ryoko Sekiguchi nous enjoint à enregistrer la voix des êtres chers, notre temporalité dut elle en être troublée par ce « présent pour toujours ». Elle réussit à effleurer l’universel sans jamais cesser d’être intime. Au terme de cet éloge de l’ombre de la voix, elle n’est plus qu’une onde faite femme. On en sort grandi, et comme lave de la bêtise des jours.


Pierre Assouline, Le Magazine littéraire, mai 2016.



Agenda

Du vendredi 19 au dimanche 21 avril
P.O.L au Festival « Le Livre à Metz »

Le Livre à Metz  « Gare aux apparences »
Place de la République
57000 Metz

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30 avril
Ryoko Sekiguchi à la librairie Ombres Blanches (Toulouse)

librairie Ombres Blanches

50 rue Gambetta

31000 Toulouse

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Du vendredi 24 au dimanche 26 mai 2024
Neige Sinno, Marie Darrieussecq, Arthur Dreyfus, Ryoko Sekiguchi, Marielle Hubert au Festival Oh Les beaux Jours à Marseille

Le festival Oh les beaux jours ! est produit par l’association
Des livres comme des idées.

3, cours Joseph Thierry
13001 Marseille
France

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Et aussi

Ryoko Sekiguchi, invitée d'honneur du Salon du Livre de Paris

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Son

Ryoko Sekiguchi, La Voix sombre , Ryoko Sekiguchi, invitée de Kathleen Evin France Inter Humeur vagabonde 1/12/2015