— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ Amateur de tennis #formatpoche

Serge Daney

L’Amateur de tennis reprend les chroniques écrites par Serge Daney pour Libération, de 1980 à 1990.
Décor : Roland-Garros, Wimbledon, la coupe Davis, Bercy.
Acteurs : Björn Borg, Ivan Lendl, Chris Evert-Llyod, John McEnroe, Gabriela Sabatini, Jimmy Connors, Martina Navratilova, Yannick Noah, Steffi Graf, Mats Wilander, Hana Mandlikova, Henri Leconte, Boris Becker, les arbitres, le public, mais aussi le temps tel que les uns et les autres le maîtrisent ou le subissent.
Ce sont des portraits, ce sont des récits, des commentaires, des questions et des réflexions. C’est
une manière de parler de tennis comme on devrait parler de littérature ou de cinéma par exemple. En...

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La presse

Deuxième service



Mesdames et messieurs, les joueurs sont prêts. Deuxième semaine à Roland-Garros. L’occasion de relire la série de chroniques (1) engagée il y a quarante ans dans Libération par le critique de cinéma Serge Daney sur le tennis à la télévision. « Pour celui qui aime et le tennis et les images qui bougent (et encore plus pour ceux qui aiment voir bouger dans les images), il y a de grands moments sur le petit écran. » Daney aime ce sport, les personnages que produit le spectacle, et augure à raison que le rapport à la télé changera le jeu, le rendra plus spectaculaire (on ne regrettera pas les interminables duels de crocodiles).
Le tennis possède alors à la télévision un privilège pour trois raisons qui le placent à l’avant-garde dans l’histoire des retransmissions sportives. « D’abord, tout ce qui se passe sur le court est immédiatement visible par tous. » Surtout, le tennis produit « l’image emblématique la plus nette, la plus lisible, du sport moderne : un télescopage violent entre l’argent, le corps et le pouvoir ». (Sur quoi d’autres sports l’ont rejoint.) La troisième raison « relève plutôt de l’esthétique des médias : il est idéalement possible défaire coïncider les limites du court et les bords du cadre ». L’avantage du terrain, c’est aussi que, « vu de haut, en surplomb, le tennis satisfait la part d’arbitre en nous ». Mieux, grâce à la technologie du Hawkeye (oeil de faucon), nous fondons désormais sur les lignes pour juger des marques.
Mais ce qui plaît à Daney et l’inspire, c’est la puissance allégorique contenue dans le cadre, celui du court et celui de l’écran. Les personnages se nomment alors Borg, McEnroe, Lendl... D’autres leur ont succédé ; tout a changé, rien n’est changé. « Sur un court, relève Daney, le tennisman joue contre quatre adversaires : l’autre, le public, lui-même et le temps. Avec le temps, sous le regard du public, il devient un autre pour lui-même. C’est qu’ on appelle "vieillir".»  Nous avons Federer qui « vieillit bien » ou le jeune et fantasque Kyrgios (forfait à RG) qui  « ne grandit pas ». L’ATP et les diffuseurs font leurs choux gras de ce choc des générations, marketant une « next gen » qui chasserait en meute les grands anciens - lesquels finiront bien un jour par accuser leur âge.
Encore immortel, Federer poussait ses premiers vagissements (1981) quand écrivait Daney. En revanche, aujourd’hui sur Eurosport, l’immarcescible lean-Paul Loth était déjà au micro. Le commentaire : « presque toujours un babil », faute de compétence ou de pathos, regrettait Daney. Toujours exquis, Loth allie les deux.



Nicolas Dé, l’Humanité, juin 2019