— Paul Otchakovsky-Laurens

Jean-Sébastien Bach

René Belletto

René Belletto, écrivain, est aussi musicien et musicologue passionné, guitariste. Fou de Bach, il propose ici une série de brefs paragraphes consacrés à l’art, à l’oeuvre, à la vie, et aux interprétations du célèbre compositeur. Chaque texte est écrit à la limite de l’aphorisme et de l’énigme, voire de la méditation ou la divagation. Comme une fulgurance. Comme si « dire Bach » était impossible autrement que de façon éclatée, fuguée. Tout l’art de Bach, affirme Belletto, est une lutte pour la vie. Très vite orphelin, Bach « a dû travailler pour ramener à la maison...

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La presse

Bach, Dieu et l’écrivain, de concret


Dans un essai érudit, René Belletto déchiffre le code sacré du compositeur en vingt-sept séquences

Aurait-on oublié René Belletto ? Quel écrivain il est, quel auteur culte il fut, presque dès ses débuts ? On peut, pour s’en souvenir, jeter un œil à un numéro ancien de l’émission « Apostrophes », dont on trouve des extraits dans les archives en vrac de l’Internet : nous sommes en 1986, et l’écrivain, d’une élocution un peu timide et magnifiquement claire, est venu présenter son roman L’Enfer (P.O.L) devant un Bernard Pivot légèrement bafouillant, qui semble parfois accueillir un extraterrestre... L’Enfer, prix Femina et prix du Livre Inter cette année-là, est un peu l’apogée public de Belletto, dont les adaptations au cinéma contribueront également à sa mise en lumière. On y repense en lisant aujourd’hui le court essai Jean-Sébastien Bach, parce qu’il y était déjà beaucoup question de musique, comme dans toute l’œuvre de l’auteur, qu’elle emprunte aux codes de la littérature de genre (polar, fantastique) ou qu’elle affiche plus explicitement ses ambitions formelles d’avant-garde.
Mélomane pointilleux et théoricien de la musique, Belletto l’est en effet à sa façon - souvent ludique - dans chacun de ses livres, en ce qu’il joue à dessein avec les questions de composition, thème, variation, imitation, interprétation, etc. Son Bach, parfaitement informé et totalement érudit, peut se lire, alors, comme un art poétique pour lui-même, où le patronyme du compositeur devient une sorte de nom de code désignant une forme d’absolu rêvé de la littérature : un double et Dieu de l’écrivain, peut-être.
Ce sont en tout cas vingt-sept courtes séquences qui abordent Bach par autant d’entrées qui rappellent les mo tifs « bellettiens » : l’enfance, l’humour, la paternité, l’art du code, la cécité, le goût du nombre, l’argent... sans oublier la guitare, qui figurerait volontiers sur le blason lyonnais de l’écrivain, lui-même musicien, et qu’on imagine ainsi face à une partition, dans sa réclusion devenue aujourd’hui presque légendaire (il est réputé ne plus jamais sortir de chez lui).


Debussy et le flamenco

Cette idée de partition est importante, parce qu’elle dit quelque chose du rapport au texte et à son interprétation : comment ne pas songer au monumental exercice de lecture des Grandes Espérances de Charles Dickens (P.O.L, 1994). que Belletto interprète comme on déchiffre la Bible... ou à un oratorio? Ce qui frappe en tout cas, c’est une espèce de relation pratique au sacré qui s’expose dans maints passages, comme il semble évident pour Bach, bien sûr, mais dans une sorte d’appropriation ici légère et presque allusive, fragmentaire et même rieuse, qui passe souvent par Debussy et par le flamenco, ce qui n’allait pas de soi.
On y retrouve le côté volontiers provocateur de Belletto, prêt à titiller les puristes, comme il l’admet lui-même : « Le débat autour de Bach fait vite tirer les couteaux: c’est que Bach étant la vie même, se l’approprier devient une question de vie ou de mort. Et puis, il y a dans Bach cet élément d’abstraction pure en même temps que de vie pure qui résiste à tous les traitements, même les mauvais, anciens ou modernes. (...) En d’autres termes, on n’atteint vraiment Bach que dans le secret de notre esprit, c’est très troublant, comme s’il était Dieu. » Ce Dieu possible est précisément la figure que construit le livre, comme s’il donnait en partage et presque en kit le secret de sa présence : une clé pour l’œuvre, un bonheur pour la lecture.


Fabrice Gabriel, Le Monde des Livres, 1er décembre 2023