— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ argent, l’urgence

Louise Desbrusses

Ce premier roman raconte l’histoire d’une femme qui accepte d’intégrer une grande entreprise pour sortir son couple de la précarité. Ses revenus ne suffisent pas. Son compagnon échoue à trouver un emploi. C’est très bien payé. Que faire d’autre pour leur assurer la sécurité ? Elle n’a pas le choix, croit-elle. L’argent, l’urgence...

Indépendante, habituée à travailler seule dans son atelier, elle découvre l’enfer des relations sociales contraintes, de la hiérarchie, des jeux de pouvoir et d’un travail dépourvu de sens. Elle finira par reprendre, à tous égards, sa liberté.


Ce...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage L’ argent, l’urgence

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

L’argent…, de toute urgence !

Soudain me revient en mémoire un jugement hautement littéraire de Woody Allen : « J’ai lu Guerre et paix. Ça se passe en Russie. » Et voilà… Ça, c’est de la critique ! J’y ai repensé en terminant la lecture d’un des livres les plus surprenants de cette rentrée, le premier roman d’une inconnue, Louise Desbrusses. D’elle on ne sait rien et c’est aussi bien. Pourquoi ouvre-t-on son livre plutôt qu’un autre ? Parce que. Le titre peut-être (L’argent, l’urgence), l’éditeur aussi dont on connaît l’œil pour repérer la qualité dans l’originalité (P.O.L), le nombre de pages éventuellement (170 p.), le prix certainement (16 euros). En fait, on n’en sait rien. Le test, c’est toujours d’aller au-delà de la deuxième page et de ne pas le lâcher. Ce que j’ai fait. Pour l’histoire, probablement : un femme, qui a toujours travaillé dans l’indépendance, doit subvenir aux besoins du couple elle se résout donc à se faire engager dans une boîte : huit heures par jour entre quatre murs et autant de robots humains pour un bon salaire. Pour l’argent. À condition d’avaler entre temps toutes les couleuvres de la vie en société fut-elle de mauvaise compagnie, la futilité, la vanité, la mesquinerie et la routine des relations de collègues, la quête dérisoire d’une parcelle de pouvoir. Jusqu’à qu’où peut-on aller trop loin quand on abdique sa liberté ? Seulement voilà, une fois qu’on a dit cela, on n’a encore rien dit car tout le roman tient à sa forme, ou à son style si vous préférez, avec des incises qui sont la voix autocritique de l’héroïne en catimini mais qui peuvent tout aussi bien être la voix critique à distance de la narratrice. Je préfère parler de « son » ou de « sonorité » car en l’espèce, c’est exactement de ce dont il s’agit. Et c’est à cela qu’on reconnaît un (nouvel) écrivain. Au hasard, page 81 : « Ici tout vous envahit, vous sort de la vie, vous paralyse (immobile). Les minutes ne s’écoulent pas. Les aiguilles des montres tournent parce qu’elles sont faites pour cela (tourner). Les aiguilles tournent mais les minutes ne s’écoulent pas. Le temps s’est arrêté. Au milieu de la première seconde de la première journée, il s’est arrêté. Tout est lourd (lent). Vous êtes lourde (lente). Vous n’êtes pas sûre que le temps va repartir un jour (plus sûre que vous allez partir). Ça pourrait durer ainsi pour toujours. Comme un sommeil (et on ne se réveille plus). Ça vous fait peur (panique). Vous faites de petites choses (toutes petites) pour avoir l’impression que ça passe (un peu quand même). Aller chercher un café au distributeur à l’autre bout (vous y traîner). C’est à peu près tout ce qu’il y a. Passer aux toilettes aussi. Vous laver les mains et un peu le visage avec de l’eau froide (tenter de vous réveiller). Et aussi, aller poser une question vague (il faut d’abord trouver la question) dans un autre bureau. L’achèvement de la journée vous surprend. Le temps a fini par passer. Vous ne savez pas quand mais il l’a fait (passer). Mais ce n’est pas fini. Reste (encore) du temps qui ne passe pas (ou si peu ou si mal). Les transports. Cela semble ne jamais finir. » Voilà, L’argent, l’urgence crépite ainsi. Juste ce qu’il faut pour ne pas verser dans l’exercice de style affecté. Louise Desbrusses connaît déjà sa mesure, sa distance. Pour un écrivain, c’est le début de la sagesse. Son livre sort ce matin en librairie. Si vous le lisez, et si, comme nombre de lecteurs le reconnaissent à leur courte honte (sauf Claude Lévi-Strauss, qui se flatte de lire et d’écrire en musique), vous gardez la musique en fond sonore à l’instant de votre colloque singulier avec un texte (j’entends déjà fuser les insultes du côté des commentaires, du calme ! halte au feu !), conseil d’ami : éteignez si vous voulez éviter la cacophonie. Car ce roman est de ceux qui exigent courtoisement qu’on l’écoute lorsqu’on le lit.

Le Blog de Pierre Assouline, 04 janvier 2006

Voila le travail !

Passé l’effet de surprise, le lecteur est conquis. La hachure des phrases, la rugosité de la langue, la saccade du rythme donnent à ce premier texte un son très singulier qui aspire et envoûte. L’emploi systématique de la deuxième personne du pluriel – « Vous sortez d’un entretien d’embauche » et de commentaires entre parenthèses « Vous décidez d’y aller (assez forte et tout, l’argent, l’urgence et la raison, j’en passe et des meilleures)< » – le tiennent en permanence à distance, le doublent d’un écho sarcastique et persifleur, lui donnent une énergie hors du commun, une vitalité confondante. Le texte s’écoute autant qu’il se lit, donne à entendre l’itinéraire d’une femme, créatrice indépendante, qui accepte un emploi dans une grande entreprise l’argent, l’urgence – pour assurer l’ordinaire. Et s’enlise dans les contraintes, les codes, les routines et les règles d’une vie qui perd peu à peu son sens. « Tenir. Tenir n’es pas une perspective réjouissante. Vous finissez par ne plus bien savoir ce que vous tenez et pourquoi. Vous vous demandez (encore une habitude, les questions) combien de personnes se contentent de tenir ? Toute leur vie c’est ce qu’elles font. Elles tiennent. Puis elles meurent ». Pris dans le galop du texte, le lecteur suit jusqu’au bout le sursaut et la libération de cette femme qui n’hésitera pas à tout faire voler en éclats – à l’instar de l’auteur, qui prend tous les risques dès son premier roman. Et s’en tire haut la main.

Michel Abescat, Télérama, 11 janvier 2005

Pour voix seule

Louise Desbrusses sort de nulle part, même sa photo sur le site de P.O.L est inregardable… Et il importe assez peu, pourvu que son livre remue là-dedans certain je-ne-sais-quoi dont nous sommes tout émus. Mais « ému » au sens de « motivé », ce que devrait être toute bonne émotion, un moteur à se lever le matin et à refaire le monde, ou du moins à l’entretenir d’un petit coup de pinceau. Cela finit d’ailleurs par arriver à la page 105, ce coup de neuf donné au quotidien, raison pour quoi on ne vous racontera pas l’histoire au-delà de cette page. Et curieusement, dans ce livre si politique, si emmerdé de la lourdeur vichyste d’aujourd’hui, la solution ne sera pas critique, mais apolitique, amoureuse. Après tout, pourquoi pas, la littérature et le cinéma (honorables) de l’Occupation ne se confondent-ils pas en merveilleux et en échappatoire ? C’est donc l’histoire d’une femme qui a un atelier, elle crée, ça ne rapporte rien. Elle prend un emploi à cause de L’argent, l’urgence. Elle sera officiellement chargée d’améliorer les produits créés par les incompétents qui la dirigent. Elle partage le bureau de Plume, une épanouie de l’enfermement, celle-là, « le travail, oui c’est ça, le travail remplit sa vie. Vous (c’est tout le contraire), votre vie, le travail la vide ». Elle a un compagnon, en outre, qu’elle appelle « l’Homme-à-élever » il passe des entretiens, il n’y arrive pas, il se complaît dans le rôle de l’homme au foyer et aux petits soins. Elle résiste comme elle peut, symboliquement, infantilement, préférerait ne pas signer son CDI, ne pas prendre un badge d’accès à la firme. En cette époque de disette, ses amis l’envient, ne la comprennent pas. Pendant ce temps, elle glisse dans la mort lente de l’ennui. Tout lui pèse. Elle ausculte les réactions de son corps, la souffrance physique issue du désarroi psychique, « votre estomac (encore lui). Votre estomac qui ne veut pas y aller ». Puis, un jour, « plus rien ne peut vous faire plaisir » (ça vous rappelle quelqu’un ?). Roman de la décomposition et de l’empêtrement, du moins jusqu’à un certain point, L’Argent, l’urgence se remarque aussi et surtout par sa forme. L’histoire n’est pas racontée, elle est dite, vécue, mimée, on a vue sur le cerveau de l’héroïne et ses arrière-pensées, dans un procédé qui rappelle Un homme qui dort de Perec, autre performance de l’impuissance : « Vous commencez à vous tromper dans les transports : prendre une autre ligne, partir en sens inverse, descendre à la mauvaise station. Tous les jours faire (refaire) ces gestes, travailler cette matière qui vous empoisonne. Et le reste. Tout ici vous empoisonne. Passer le tourniquet. Poison. Faire ce qu’il y a à faire. Poison. Entendre ces conversations. Poison. Manger sans faim, dormir sans rêves. Poison, poison ». C’est la véritable voix de la solitude, voix non pas seule mais multiple, distanciée (la deuxième personne d’une conscience judicatrice), se commentant, se reprochant, répétant les absurdités entendues ou proférées par soi-même. Entre parenthèses s’inscrit l’ironie, la fatigue, le vide du langage, les repentirs de la pensée, quand c’est difficile de savoir même ce que l’on pense, « ça a l’air horrible (c’est affreux) ». Louise Desbrusses scrute tous les recoins des prisons ordinaires (bureau, couple), le pourrissement où s’englue le moi, la presque extinction et le renoncement, jusqu’au moment où le « je » reprend le pouvoir (p. 96) et que la vie revient, d’une façon certes conventionnelle mais pas impossible. « Laisserez-vous vos rêves. Agir », demande la quatrième de couve, en guise de conclusion, dans le ciel.

Éric Loret, Libération, 19 janvier 2006


Comment transcrire par l’écriture les infinies digressions d’une parole intérieure retorse qui semble se chercher elle-même ? Tel est l’horizon stylistique de ce premier roman ambitieux qui résonne étrangement dans le paysage littéraire contemporain. Une polyphonie savante orchestre subtilement des voix in et des voix off dans un même corps d’écriture habillé de parenthèses insidieuses. L’argument est simple, l’ironie multiple : « Un homme à élever. On ne se rend pas compte (ça n’est pas rien). Lui, si délicat. Son admirable façon de ne pas gagner d’argent et d’en souffrir si fort que vous ressentez un élan protecteur irrépressible (classique). Lui si fragile (disais-je donc) et vous si solide (qu’il dit lui) voilà la situation ». Peu de choses réellement dites en somme, comme pour donner la part belle au non-dit, suggéré, sous-entendu, grogné. A ce que disent les gens aussi, les « on dit bien ou mal pensants, les rêves des autres ». « L’argent, l’urgence, la raison tout ça », c’est eux, une parole collective qui fait pression sur l’imaginaire, la bulle de rêve fragile : « Rappelez-vous (toujours) on vous a dit : vous aimez faire votre intéressante ». Dans un univers volontiers anonyme (l’Homme-à-élever, l’immeuble de verre à nom de fleur (court), Costume si bien taillé, Chemise rouge (aujourd’hui bleue), le bureau de l’emploi, l’Éclat noir), l’accent est donc mis sur une activité silencieuse intense, une résistance à voix intérieure au cours des choses, au monde comme il va dans sa répétition, son uniformité.
Contre cette étendue lisse, l’écriture s’agrippe, fait des plis, affirme sa force d’invention, même minuscule. Les impératifs et nombreuses injonctions du texte disent l’obstination et le doute, les errements d’une conscience conflictuelle : « Ah ! Vous voulez vous sentir en dehors toujours. Conserver l’illusion que vous êtes une étrangère. En visite. Le plus longtemps possible. Être en dedans en restant dehors (original). Les contradictions ne vous font pas peur ». Une écriture chercheuse, en train de chercher précisément, comme si elle tentait de faire le point, d’obtenir chaque fois plus de netteté en s’ajustant au plus près de la pensée. Le ton est drôle et sans complaisance, superposant à la voix mutine de la narratrice celle d’un surmoi moqueur (à qui on ne la fait pas, non mais) ou d’un analyste perspicace. L’énonciation semble finalement poursuivre un fantasme : écrire un livre qui dirait le tout de l’être. Cet étonnant feuilleté de sens stimule le lecteur. Mieux : il lui donne envie d’écrire. Un bémol, peut-être : le dispositif formel de parenthèses, si fin et intelligent soit-il, a aussi pour effet de ralentir la lecture et lasse un peu sur la fin… On est curieux de lire la suite.

Aurélie Djian, Chronicart.com

Course sans fin

Voilà, elle l’a obtenu, ce travail ! Un boulot bien payé qui va assurer l’ordinaire, effacer les dettes, calmer le jeu. Il le fallait car, à la maison, il y a l’homme-à-élever, un garçon si fragile avec « son admirable façon de ne pas gagner d’argent et d’en souffrir si fort ! ». Elle n’avait pas le choix : L’argent, l’urgence… « Elle créait dans son atelier, elle devient conceptrice. Elle ignorait les horaires, elle découvre le grand immeuble de verre, le badge, l’assistante et les collègues en chemise rayée. Désormais, elle ne pense plus, elle a signé son contrat et tout le monde l’envie, juste au moment où elle s’apprête à hurler à la mort ». Louise Desbrusses ne se contente pas d’observer le monde du travail, de narrer des anecdotes, de raconter le quotidien : elle dit le fond du gouffre, la course contre le temps, l’envie de respirer moins vite et les tentatives d’évasion qui échouent lamentablement. Choisissant la deuxième personne du singulier, la romancière a établi la distance, refusé la connivence. L’héroïne, ce n’est pas elle, ce n’est pas vous, c’est l’autre. Celle qu’on a en face de soi et qui vous fait horreur puisqu’elle vous ressemble, avec cette façon d’avoir peur et de jouer les bravaches, de vouloir tout lâcher et de rester pour toucher le chèque de fin de mois. Mais L’argent, l’urgence, c’est avant tout une écriture, hachée, brisée sans cesse comme le cerveau de l’héroïne, comme ses jambes qui continuent d’avancer dans le couloir avec cette moquette douce comme une musique d’ascenseur. Louise Desbrusses use et abuse des parenthèses comme on s’enlise dans le non-dit, comme on se noie. Elle écrit au scalpel des phrases qui font rire et qui font pleurer. « Qui c’est celle-là ? Comment ça pas de badge. (Voyons !) Tout le monde veut un badge. (Voyons !) Qui c’est celle-là qui n’en veut pas ? Un badge qu’est-ce donc ? La liberté. (Non, vraiment !) D’aller et venir. Entre des tourniquets. Ici c’est ainsi. La liberté. (Simple, non ?)… » Voici un premier roman qui pourrait aussi se lire à voix haute car il est intime et théâtral, déprimant et vivifiant, tragique et drôle. Un livre à offrir à ses meilleurs amis… et à ses collègues de bureau.

Christine Ferniot ,Lire

Pièce de collection

Une peinture du mode du travail et de ses petites médiocrités.

Dès le titre, le ton est donné. L’argent, l’urgence claque comme un impératif. Pour subvenir à ses besoins, une femme, artiste indépendante, n’a d’autre issue que de quitter son petit atelier pour une tour de verre impersonnelle où l’attend un emploi stable et bien rémunéré. Une chance, un rêve, lui répète-t-on à l’envi autour d’elle. D’ailleurs, tous l’incitent à accepter, à commencer par « l’Homme-à-élever », son compagnon au chômage, trop fragile et inadapté pour réussir le moindre entretien d’embauche. Tous ou presque, car au fond d’elle une petite voix s’élève pour la mettre en garde, elle d’ordinaire si « irréaliste, fantaisiste, égoïste ». Est-ce vraiment le bon choix, la bonne solution ? Pense-t-elle vraiment être si forte et si solide pour pouvoir, comme elle le prétend, passer au travers sans que cette expérience laisse des traces ? Dès l’abord du remarquable premier roman de Louise Desbrusses, c’est elle, cette voix étrange, qui saisit le lecteur, le désarçonne, l’interpelle, le hante tout autant que cette femme (narratrice ?) dont on ne connaîtra jamais l’identité. Ironique, grinçante de lucidité, placée aux aguets d’une conscience qui nie et refoule, elle décrit les moindres gestes de cette femme, commente ses moindres pensées, débusque les contradictions de son discours, ses faiblesses, ses hésitations, ses inhibitions, ses silences et non-dits. Le tout en jouant avec une redoutable dextérité des parenthèses, comme, pourrait-on dire, elle joue de cette vie qui hésite entre être et avoir et qui, peu à peu, va se renfermer sur elle-même et se vider de sa substance. Et cela malgré les avertissements de cette conscience persifleuse. « Vous décidez d’y aller (assez forte et tout, l’argent, l’urgence et la raison, j’en passe et des meilleures). Mais sans plier, prétendez-vous. En gardant la tête haute. Vous passerez au travers. Oui, vous le ferez. Drôle d’arrangement (je ris). Plier. Ils vous feront plier. Ils en ont vu d’autres. Ils savent y faire. Mettre le doigt sans mettre le reste : Illusion. Enfin, puisque c’est ce que vous avez décidé, sortez de cette bouche de métro. Allez-y. Qu’on en finisse. Que tout cela commence ». Tourniquet électronique, badge, regards qui pèsent, jaugent, froideur des bureaux et de ceux qui les occupent, morgue et suffisance des petits chefs qui vous prennent pour quantité négligeable… Dès le premier jour, la nouvelle correctrice de produits prend la mesure de ce qui l’attend, des mœurs, des codes de pouvoir, des efforts qu’il faudra déployer pour ne pas se laisser engloutir par le trou qui s’ouvre en elle et l’annule un peu plus chaque jour. « Les nuits engloutissent les jours. Les jours rongent les soirs. Les soirs dévorent les nuits. Le trou s’élargit dans votre vie. Gouffre. Vol des heures. Le temps dérobé s’évanouit. Présent étouffant. Poids dans la tête. L’effort requis pour la traversée de cet espace incertain écrase vos (chères) pensées. […] Cela prend tout. Vous prend tout. On est ce qu’on fait. On le fait ». Dans la ronde d’un quotidien immuable, ennuyeux, qui annihile, plus de temps pour penser, pour aimer, pour oser dire aux autres qu’on est en train de mourir, que leur rêve à tous n’est pas le sien. Plus de force pour résister, pour hurler sa douleur d’être dépossédé de tout : de ses rêves, de ses désirs, de ses pensées qui l’ont fait tenir debout ; de son atelier-refuge où elle confectionne des pièces uniques mais que « l’Homme-à-élever » a investi. Au cœur de cette longue dérive existentielle à travers laquelle Louise Desbrusses dépeint admirablement le monde du travail et ses petitesses, mais aussi la débâcle d’un couple qui se délite, va surgir l’éclat noir d’un regard, d’une rencontre, d’un sursaut. Une libération qui ne sera pas sans heurts et déchirements pour cette femme qui s’éveille à nouveau, non sans appréhension, à la vie, à l’amour. Et nous révèle surtout une voix singulière, entêtante. L’éclat noir d’une pièce unique.

Christine Rousseau, Le Monde, 16 février 2006