Les Deux Sœurs savent ce qui compte. Les Deux Sœurs savent ce qu’il faut. Les Deux Sœurs savent qu’il faut toujours être mieux que les autres, au-dessus, sinon on est moins bien. Tôt elles l’ont appris. Pour l’Aînée qui jamais n’aime rien laisser au hasard, la tâche est ardue tous les jours. Elle l’est ce matin plus encore s’il se peut. Pour l’Aînée. La Seconde, elle, tente aujourd’hui de relever un nouveau défi.
On aura reconnu dans ce bref résumé le style inimitable de Louise Desbruses dont voici le deuxième roman. Il raconte une journée dans la vie de trois femmes, une mère et ses deux filles. Une journée...
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Les Deux Sœurs savent ce qui compte. Les Deux Sœurs savent ce qu’il faut. Les Deux Sœurs savent qu’il faut toujours être mieux que les autres, au-dessus, sinon on est moins bien. Tôt elles l’ont appris. Pour l’Aînée qui jamais n’aime rien laisser au hasard, la tâche est ardue tous les jours. Elle l’est ce matin plus encore s’il se peut. Pour l’Aînée. La Seconde, elle, tente aujourd’hui de relever un nouveau défi.
On aura reconnu dans ce bref résumé le style inimitable de Louise Desbruses dont voici le deuxième roman. Il raconte une journée dans la vie de trois femmes, une mère et ses deux filles. Une journée particulière en ceci qu’elles se rendent à une réunion familiale où elles se sont fait l’obligation de tenir ce qu’elles croient être leur rang et de marquer en même temps que leur supériorité leur différence vis à vis d’une parentèle qui, pour d’obscures raisons serait censée les mépriser. Une journée particulière aussi parce que « la Seconde » va en saisir l’occasion pour se libérer du carcan sous laquelle la maintiennent mère et sœur.
La manière d’écrire de Louise Desbrusses, incisive, précise et en même temps riche d’allusions et de sous-entendus qui irrésistiblement évoquent et fouillent pour son lecteur des situations quasiment archétypales (le couple dans L’Argent, l’urgence, l’oppression familiale ici) montre encore une fois non seulement son originalité mais aussi sa redoutable efficacité : on suit avec angoisse la description d’un enfer psychologique et social qui n’est pas sans évoquer des expériences communes, puis avec bonheur la libération d’une des victimes de cet enfer. Et cela avec un humour tout entier fait d’une très belle intelligence des rapports humains, de force comme psychologiques.
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D’un côté, un fils de famille, sa femme – une vendeuse épousée sur un coup de tête – et leurs deux filles jeunes adultes. De l’autre, sa famille « comme il faut », figée dans un conservatisme glacé, qui n’a jamais accepté l’intruse et ses filles. Une fête d’anniversaire les réunit et comme d’habitude, les trois étrangères, mises à l’écart, vont se retrancher dans leur mépris moqueur, se protéger par leur certitude orgueilleuse de valoir beaucoup plus que les « Autres ». Mais cette fois-ci, les coalitions colmatées de haine mutuelle se fissurent : la cadette se sent autre, désormais indifférente à ce combat auquel sa mère et son aînée l’ont dressée dès l’enfance.
Les mots proférés dents serrées par la haine et la souffrance s’assemblent en phrases courtes, martelées. L’enfance naufragée, l’hystérie destructrice de la mère et de l’aînée, la lâcheté du père, la dureté de la famille paternelle leur donnent un goût de fiel, tandis que subtilement, la libération de la cadette s’insère entre les mots. Après L’Argent, l’urgence, la voix originale de Louise Desbrusses s’affirme.
F.R., Notes bibliographiques, octobre 2007
Affranchissement
Elles sont trois, la mère et ses deux filles, unies dans un même combat. Bien droites sous leurs couronnes, protégées par les armures et boucliers, longuement fourbies par le ressentiment. Tous ces ornements ne seront pas de trop pour affronter le déjeuner d’anniversaire où elles vont marquer leur rang et leur territoire. Dans ce microcosme bourgeois, Mère est l’étrangère, la séductrice, celle que Père a imposée dans un hoquet de courage qui a épuisé toutes ses velléités de révolte.
Les Deux Sœurs doivent à leur génitrice allégeance et fidélité. Elle ne tolérera aucune complaisance à l’égard de l’hydre familiale. Élevées dans le ressentiment jusqu’à la nausée, les Deux Sœurs ont inventé des jeux, affublent de sobriquets ces parents qui ne les ont jamais acceptées, obéissant à des rites sous la surveillance implacable de Mère.
L’aînée, cramponnée à son anorexie, tente de s’amuser en semant la zizanie dans la fétide harmonie. Mais voilà qu’au cours de cet interminable repas, la Seconde s’extrait insensiblement du parti des victimes. Elle ne rejoint pas l’ennemi, non, elle fait juste ce saut hors du camp des assassins dont parle Kafka. Elle s’en va, ne veut plus consacrer ses forces à obéir et à haïr. Cette trahison déchaîne la colère impuissante de Mère et de l’Aînée.
Des histoires d’exclusions, de préférences, d’humiliations et de vengeances, de déclassements, il y en a dans des centaines de romans familiaux. L’originalité de Louise Desbrusses niche dans sa prose hachée. La musique en est durassienne par instants, sans que cette ressemblance couvre la voix propre de la romancière. La partition des trois combattantes procède par rafales sèches, répétitives, claquements de kalachnikov. Des interludes en italique détaillent sur un mode langoureux le lent déroulement de la cérémonie, l’ennui des invités, les non-dits habituels. On est écœuré bien avant le dessert et le rituel des cadeaux. Si le caractère répétitif, cyclique, du récit lasse par moments, c’est que le combat qu’il relate est perdu d’avance.
I.R, Le Temps, 3 novembre 2007
Le choc Desbrusses
Parmis les 727 romans attendus, le coup de cœur des libraires E. Leclerc et Télé 7 jours pour la force et les subtilités de Couronnes boucliers armures.
Le talent de dire les choses sans les nommer, c’est aussi celui de les rendre universelles. L’excellence de Louise Desbrusses est dans ce tour de force qui consiste à porter la mécanique infernale d’une situation, le sens avant les faits. Avec une écriture précise, un récit ramassé, l’auteur creuse le diamant brut des rapports familiaux. Cruauté, rêves dévastés, orgueil, tendresse. Son récit tient en une journée dans la vie de trois femmes, une mère et ses deux filles, héroïnes sans prénom, en visite à la Villa du Lac où demeurent les parents du père. Devant « Mère », depuis toujours méprisée par les grands bourgeois de sa belle-famille, l’« Aînée » joue son rôle de fille héroïque, balance sa belle insolence à travers la table empesée, séduit l’« Endivon », mari falot d’une cousine au bord de la crise de nerfs. De sa non-action « La Seconde », elle, va enrayer la machine. Grain de sable qui a choisi le vent de l’indépendance plutôt que le combat têtu, perdu d’avance. Baisser la garde, tomber l’armure, se mettre tout le monde à dos, y compris son propre camp, sera le prix chèrement payé de sa liberté. Rarement un auteur a autant affiché la sienne.
France Cavalié, Télé 7 jour, du 1er au 7 septembre.