Hammurabi Hammurabi
Frédéric Boyer
Le Code d’Hammurabi , qui est au centre de ce livre, se présente comme une grande stèle de 2,5 mètres de haut, en basalte. La stèle, conservée au Louvre, porte l’inscription de décisions de justice formant code et rendues par Hammurabi afin que « le fort n’opprime pas le faible ».
Les différents « articles » du Code d’Hammurabi fixent les règles de la vie courante et touchent aux rapports qui unissent les groupes sociaux, la famille, l’armée, la vie religieuse et la vie économique. Elles ont toujours trait à des situations très précises concernant les vols, les prêts, les honoraires, les contrats, les...
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Le Code d’Hammurabi , qui est au centre de ce livre, se présente comme une grande stèle de 2,5 mètres de haut, en basalte. La stèle, conservée au Louvre, porte l’inscription de décisions de justice formant code et rendues par Hammurabi afin que « le fort n’opprime pas le faible ».
Les différents « articles » du Code d’Hammurabi fixent les règles de la vie courante et touchent aux rapports qui unissent les groupes sociaux, la famille, l’armée, la vie religieuse et la vie économique. Elles ont toujours trait à des situations très précises concernant les vols, les prêts, les honoraires, les contrats, les fermages, les débiteurs insolvables, les esclaves fugitifs, le statut de la femme. Il n’y a pas d’idée générale ni de concepts abstraits exprimés pour justifier telle ou telle disposition, il n’y a pas non plus d’ordre logique dans la présentation.
Bien sûr, le texte, bref, de Frédéric Boyer, fortement scandé, déclamatoire, emporté, n’est pas un texte de droit, il n’est pas non plus une étude historique. Mais il se sert du droit et de l’histoire pour parler d’aujourd’hui et de toujours. Aujourd’hui, sur l’emplacement de Babylone où Hammurabi fut roi, en Irak, a lieu une guerre qui n’en finit pas. Depuis toujours le droit ne fait que constater des rapports de force qu’il peine à infléchir. Hammurabi Hammurabi est le chant double de ce conflit.
« Oui. J’étais soldat dans la 31e année du règne de Hammurabi. J’ai rasé la moitié de mes cheveux. J’ai calfaté mon cœur. J’ai renversé la plaine. Je suis mort à zéro heure quarante dans mon véhicule de combat. Oh quelqu’un m’a rattrapé. Je pense à toi. Ça y est. Je suis un soldat mort. Mon corps dans un sac hermétique fait le voyage en hélicoptère Apache. Soleil brûlant. Direction le ciel. C’est la loi. Plus d’histoire. »
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Traductions
Tunisie : Walidoff | Vénézuela : Alliance Française
La presse
L’antiquité incarne l’une des formes les plus justes de notre extrême contemporanéité. Elle hante les deux derniers livres nocturnes de Frédéric Boyer : çà parle en eux, et ce depuis un savoir intime qui se mue en enquête morale sur soi et l’univers circonstancié: l’ici-aujourd’hui. Deux personnages redécoupent le temps selon une perspective diachronique. Orphée et Hammurabi ouvrent l’histoire du monde occidental à celle du plus intime et du plus singulier : choc de la rencontre avec la mort, que ce soit celle de l’enfant ou celle du soldat. Orphée ravit le sujet de l’écriture et le sujet de l’amour à lui-même. A partir d’un souvenir d’enfance - le face-à-face avec le cadavre du grand-père étendu sur son lit - le narrateur remonte le fil de ses souvenirs et cherche la vérité de ses obsessions qui mixent scènes, images, figures, rêves et anecdotes en un tissu verbal qui tourne, détourne et retourne cette matière. Matière à laquelle l’écrivain rend hommage en proposant, à la fin du livre, deux traductions d’Ovide et Virgile qui vont au texte comme on va à l’aventure. Par ce voyage dans le temps singulier et collectif, le soi s’éprouve comme une fiction que rien ne délivre, pas même le mythe d’Eurydice auquel l’être de désir s’abandonne.
Le coefficient personnel s’efface dans Hammurabi Hammurabi qui invente une sorte de subjectivité impersonnelle. Connaître le monde d’où l’on vient, certes, et transformer notre monde actuel par la prise de conscience que permet la superposition d’un temps à l’autre. Le sujet est relié à un centre qui prend la forme d’une voix humaine ; celle-ci porte l’autorité de la loi dont la simple expression est une des formes les plus cinglantes de la poésie. Le code juridique de Hammurabi, roi de Balylone il y a 4000 ans, est inscrit en écriture cunéiforme et rédigé en akkadien sur une stèle en basalte noir découverte à Suse en Iran. Le monument est désormais au Louvre. Beauté abstraite du vivre conditionné par le devoir et la norme, la dette et le souci. L’élégance est liée à l’énigme : chaque article, introduit par la conjontion si, est l’hypothèse d’un sens, la liquidation d’un manque dont la persistance n’est pourtant pas niée. Mensonge dans la vérité et vérité du mensonge : la médiation allégorique, le recours aux masques et aux voix lointaines fondent ce texte sur une origine participant à la fois de l’histoire et du mythe. Langue oraculaire. Hammurabi Hammurabi réorganise ces articles de loi en les mêlant à d’autres fragments, cette fois narratifs. La voix du souverain se superpose à celle, impersonnelle, de la loi, tandis que le murmure d’un soldat d’outre-tombe fait le lien entre hier et aujourd’hui.
Anne Malaprade