Ce roman bref met en scène un héros, Horacio Picq, dont on comprend assez vite qu’il est un « révolutionnaire professionnel » qui, pour parfaire sa connaissance des fortifications militaires, s’est rendu en province dans une forteresse, précisément, dont la bibliothèque, ouverte aux chercheurs recèle de précieuses indications. Las, il semble avoir été démasqué, et se trouve en fait emprisonné par surprise. Dans sa chambre qui devient une cellule il découvre, outre une carte du ciel, une paire de jumelles qui ont cette propriété non seulement de fouiller au plus profond l’espace nocturne mais de l’animer, d’y faire entrer le...
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Ce roman bref met en scène un héros, Horacio Picq, dont on comprend assez vite qu’il est un « révolutionnaire professionnel » qui, pour parfaire sa connaissance des fortifications militaires, s’est rendu en province dans une forteresse, précisément, dont la bibliothèque, ouverte aux chercheurs recèle de précieuses indications. Las, il semble avoir été démasqué, et se trouve en fait emprisonné par surprise. Dans sa chambre qui devient une cellule il découvre, outre une carte du ciel, une paire de jumelles qui ont cette propriété non seulement de fouiller au plus profond l’espace nocturne mais de l’animer, d’y faire entrer le temps, l’évolution : spectacle dont notre prisonnier ne va plus se lasser. Par ailleurs sa vie est rythmée par les visites régulières d’une geôlière-cuisinière bien en chair mais intraitable, puis de sa sœur jumelle tout à fait compréhensive, amoureusement compréhensive, elle. Ce presque conte écrit avec raffinement est une merveille d’humour, de drôlerie légère. Les fantasmes révolutionnaires s’y défont avec grâce tandis que les ébats amoureux et les découvertes de science amusante, servent à merveille de sentimentales supercheries.
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Révolution stellaire
Une fable poétique et politique de Pierre Alferi
Pendant le week-end de Pâques de l’an 2009, de violentes émeutes secouent Paris, en protestation contre « un État dont le chef distribuait le bien public à ses amis millionnaires, rétribuait les escrocs, confiait la laisse des organes de presse à ses amis magnats […] ». Coincé dans une cellule d’un fort de Vauban, Horacio Picq se désole. Le conspirateur maladroit est membre de l’organisation dite La Société centrale – en hommage au socialiste Auguste Blanqui qui passa l’essentiel de sa vie en prison – et voilà que la révolution éclate sans lui. C’est en tout cas ce qu’on lui laisse entendre pour rendre plus cruelle sa détention. Des jumelles, il y en a deux paires dans cet apologue. Les geôlières, deux « géantes », qui ne sont peut-être qu’une seule personne. Et un instrument quelque peu magique qui permet au prisonnier de repérer dans le ciel des phénomènes troublants. « Tout ce qu’on aurait pu être ici, on l’est quelque part ailleurs », dit Blanqui au dos du livre. Le révolutionnaire était également astronome et auteur d’une théorie de l’éternel retour. On imagine donc que le malheureux héros de cette fable surprenante est sa réincarnation : le mot révolution ne signifie-t-il pas « tour complet » ? L’humour étrange qui éclaire ce conte rappelle que Pierre Alferi est avant tout un poète. À regarder les étoiles avec les jumelles de Blanqui, Horacio aura gagné une distance cosmique à ses propres prétentions.
Isabelle Rüf, Le Temps (Genève), 25 avril 2009
Fable, conte philosophique, récit initiatique ? La prose est entrecoupée de vers décadrés décadrants qui recherchent à tour de rôle quelque chose comme la phrase d’une littérature ne se justifiant que d’exister, – d’être-là –, littérature tout entière tournée vers la proposition d’un dispositif à même de produire des sons malicieusement sensés. Proposition d’une histoire qui expérimente l’Autre, ici une femme dominatrice, Marthe, dédoublée en une jumelle dont la présence absente obsède Horatio Picq, militant politique pris dans le piège de la séduction. Proposition d’un phrasé qui expérimente une construction en courts chapitres pour envisager, jumelle à la main cette fois, la narration comme un angle à partir duquel une perception et un arpentage mental visuel se mettent posément en place. Où l’on verra que les deux infinis ne cessent de se réfléchir en réinventant ce que vivre veut dire. Du piège à l’amour, de l’emprisonnement au désir, de la domination à la jouissance, de la prose au vers, d’Horatio à Auguste Blanqui, ce roman opère des jonctions, des annexions, suggère des répétitions, espère des reprises, et bifurque pour l’option d’une sentimentale rencontre entre, au chois : un (deux ?) homme / une (deux ?) femme, la province bretonne / Paris, l’attente / l’action, la répétitio / l’invention. À terme, c’est peut-être la naissance d’un enfant textuel qui s’annonce : celui qui ne parle pas encore – l’infans – gonfle les paroles de ceux dont la rencontre électrise la vie par l’amour. Le dernier chapitre du roman peut être lu comme le synopsis d’un cinépoème qui laisse entendre, entre deux silences, que ça (la vie résolument vivante, aussi bien ici qu’ailleurs) suit son cours, et que la règle s’incarne parfois charnellement : « – Les miennes [les règles] concernent les phases de la lune. – La lune est trop proche voyons / on ne peut rien régler là-dessus. – Vous croyez ? / eh bien si elles disparaissent / je vous le devrai un peu / et je vous le ferai savoir. » Au lecteur d’imaginer une ravisseuse bientôt maternelle, un prisonnier politique œuvrant à une révolution charnelle invisible, celle de la division et de la multiplication cellulaire qu’aucune paire de jumelle ne pourra visualiser.
Anne Malaparte, Cahiers critique de poésie, 2009