« Est-ce que tu as entendu Gregor parler, à l’instant ? » Gregor, c’est Gregor Samsa, le héros de La Métamorphose de Kafka, que ses proches comprennent de moins en moins quand il s’exprime. Si la dégradation est lente, elle est implacable et aboutit à l’effroi de ce constat : il a « une voix d’animal ». Je ne sais pas si les animaux ont une voix, je sais qu’ils ont des cordes vocales mais qu’il ne suffit pas d’en avoir pour disposer d’une voix. Ce que je sais en revanche avec certitude, c’est que désormais quand je sors, je porte un masque en coton triple épaisseur aux normes AFNOR S76-001 avec tige adaptable et motif à fleurs, qui me permet notamment de parler dans la rue sans mettre personne en danger. Si ce n’est l’incompréhension à laquelle j’expose mes interlocuteurs puisque, de plus en plus souvent, je suis tenue de répéter ce qui est sorti de ma bouche avec ce que je croyais être de la fluidité. En tout cas jusqu’à la barrière de coton car, de l’autre côté, le flot s’est transformé grondement informe, une bouillie grumeleuse que la trame n’a nullement tamisée pour la rendre plus fine ou plus claire. Au contraire.
Je pense aussi à un autre texte, celui que Cocteau écrit pour le théâtre en 1927 et qui met en scène le monologue d’une femme quittée au téléphone, flot de paroles claires et distinctes dont on se demande pourtant si de l’autre côté ou à l’autre bout du fil, il est entendu par l’amant, a fortiori s’il est compris. Loin d’être animale, la voix, cette fois, est parfaitement humaine.
Se pourrait-il que, derrière nos masques, parois, bâillons et autres barrières, nous devenions des arpenteurs brailleurs et incompris, dotés de cordes vocales mais sans voix ?