— Paul Otchakovsky-Laurens

Primo Primo

20 avril 2020, 14h11 par Nathalie Azoulai

Toutes les pensées que je formalise ici sont comme les informations liées au virus : instables et contradictoires. Les lecteurs ne m’en voudront pas de dire tout et son contraire, d’aborder l’épreuve que nous traversons à tâtons. Je remercie les éditions POL de leur donner asile.
 
Primo Primo
Mon réflexe aux tout premiers jours du confinement, ça a été Primo Levi. Je ne sais pas pourquoi, est-ce parce qu’il est italien et que nous avions les yeux rivés sur l’Italie ? je me suis jetée sur Si c’est un homme, je l’ai relu scrupuleusement en étant sûre que l’observation minutieuse du Lager m’aiderait à traverser la moindre expérience qui commençait pour nous. J’ai fait sourire plus d’un de mes amis en leur disant que ça me remontait le moral, mais certains ont compris qu’il y avait là une manière de combattre le mal par le mal ou, plus exactement, de trouver comme chaque fois que je traverse une expérience difficile une expérience plus difficile encore, une surenchère de souffrance qui me calme et me permet de passer le gué.
Et je ne me suis pas trompée car toutes les pires souffrances sont effectivement incluses dans le Lager, jusqu’aux épidémies et aux fortes fièvres. Primo Levi les décrit avec une précision fascinante. Au plus profond de la déchéance et de l’humiliation, il « profite » de cette détresse pour comprendre avec précision ce qu’est un homme, la résistance au pire, la sélection, balayer toutes les catégories pour ne garder que celles des forts et des faibles, ceux qui s’en sortiront et les autres.
Le confinement ne nous entraîne pas jusque-là sauf à penser que l’épidémie sélectionne ses proies ou que nous aurons des lendemains difficiles, une guerre civile, des émeutes de la faim, des régimes totalitaires etc. Mais pour l’instant, nous sommes chez nous, nous ne subissons ni torture ni dépossession. Ca n’a donc strictement rien à voir, me direz-vous, c’est même indécent d’effleurer l’idée d’une comparaison. Le Lager, le Lager, vous n’avez donc que ce mot à la bouche ? Oui, parce que figurez-vous qu’au tout début de l’épidémie, j’ai osé penser que c’était pire que la Shoah et qu’à présent, j’en ai honte.

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