Centre Georges Pompidou
Conférence chorale sans partition
pour l’ouverture du Laboratoire d’histoire permanente
notation pour voix n°8
Vous dire quelques impressions d’un voyage au long cours
d’un voyage toujours en cours à Beaubourg
Quelques mots des images encastrées dans ce lieu historiquement fabriqué
images qui se sont imprimées à partir d’événements fondus en une longue chaîne tramée
dans des espaces dédiés à des activités pensées
des niveaux des plateaux des studios des musées
des galeries
des bibliothèques The Initials B. B.
des espaces reliés par des flux des liquides des fils des gaines de l'acier
Se tourner vers ce phare dans la nuit éclairé
confier que par sa permanence je suis rassurée
qu’à lui revient dans les tiraillements qui déchirent les voix qui cloisonnent les choix qui divisent la possibilité de tendre à l’unité par frottements juxtaposés judicieusement montés
Le centre
lieu de convergences conduites de l’utopie
Le centre
machine à aimanter les forces centripètes
Au plafond du forum le centre à ventre ouvert
ses tubulures ses structures
des bouches ouvertes des hauts-parleurs des sèches-cheveux du rouge du bleu
Le centre
dessiné pour abriter ce qui doit surgir – toujours l’inattendu arrive – sans être submergé naufragé en retour
Techniquement le bâtiment est conçu, ai-je lu, pour résister pendant deux heures à un incendie violent
deux heures…
hommage à Renzo Piano et à Richard Rogers qui ont pensé à nous protéger
On sait depuis – on a trop souvent pu apprendre depuis – que ce sont moins les courts circuits électriques que les hommes en feu qui déclenchent les incendies qui nous violentent en société
Et pourtant demeure
le sentiment profondément enfantin
que le centre sécurise
le centre sécurise l’enfant en nous – nous les enfants résidents de la République
Structurellement le centre est un défi, à ce défi nous voulons nous fier
on peut tranquille à petites foulées à grandes enjambées
on peut sans crainte se hâter d’aller au-devant de ce qui pourrait nous agiter secouer bousculer
Pas forcément les grandes bousculades annoncées sur papier
les scansions de la programmation les événements massifs les grandes expositions les rétrospectives intégrales les panoramas inédits les rencontres internationales
Un assemblage de surgissements hétéroclites peut parfois suffire
telle cette journée ordinaire hier les pieds sur terre des vies qui passent la coexistence des contraires :
un homme au sac en papier hélé par les agents de sécurité
le désoeuvrement inorganisé jadis joyeusement autorisé dès le hall d’entrée
un dos voûté masquant une toile de David Hockney
les feutres de Beuys entre lesquels j'aurais aimé me reposer
La Morte rouge une alcôve noire un écran blanc La Griffe écarlate un soliloquio les actualités No-Do du Général Franco enfin des nouvelles d’Erice – l’ami à qui parler
des mal logés mal chauffés des affamés des fins lettrés du raisin égrené dans la salle de lecture ouatée – de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère
près des escalators des visiteurs sans bagages des langues bigarrées la Tour de Babel la montée au ciel
une vue imprenable sur Paris
« Faut-il – s’est-il écrit lors d’une précédente tranche de travaux (1997) – faut-il faire payer la vue de Beaubourg ? » le matériel s’use si l’on s’en sert !
lieu voué à réduire les fractures – comment oser présenter la facture ?
Loin des néons des affiches XXL des transparences de la façade
me changent en effet dans le temps peut-être encore plus sûrement les micro-évènements accumulés indifférenciés les émotions non annoncées les déplacements sur feuillets millimétrés
les bulles d’oxygène les rebonds internes
Une voix à l’extrémité d’une baie vitrée :
une femme en jupe sombre cheveux courts accueille des hommes paisibles conversations chuchotées
histoire déterrée
revues parlées
elle s’appelle Marianne Alphant est écrivain journaliste
à la périphérie du centre ça bouge par glissements
un discret passage s’opère
de la voix manquante à la femme marquante.
Voilà, parmi les souvenirs possibles et les futurs envisagés
pour le Centre
pour le Centre constitué par nous qui faisons assemblée / coryphée
Voilà, ce je pouvais dire ce soir.
Frédérique Berthet