— Paul Otchakovsky-Laurens

Trou type

07 novembre 2010, 09h23 par Charles Pennequin

Nous avons eu raison de vivre dans cette époque. Heureusement que nous y sommes. Car mon petit doigt me dit que nous allons avoir du travail. L’époque tourne au vinaigre. Il y a trop de mysticité autour de l’époque. Et la mysticité, c’est la manière de rendre aveugle. Se rendre aveugle face à l’époque. Mais aussi aveugler toute l’époque. Il ne faut surtout pas verser dans la mysticité. Ceux qui y sont tombés ont fini par prendre des vessies pour des lanternes. Il ne faut pas lanterner avec l’époque. Ni larmoyer. Ni inventer. Il n’y a pas à inventer l’époque. Nous y sommes. Et nous sommes heureux d’y être. Il va falloir retrousser ses manches et ne pas la manquer. Il y en a trop qui ont loupé leur époque. Nous sommes entourés de mystiques, c’est-à-dire de gens qui manquent à leur époque. Nous sommes trop entourés de fadaises. Toutes les fadaises sont bonnes pour la littérature. On invente des mausolées en écriture, rien qu’en étant croyant. Rien qu’en croisant. On croise le fer de l’écriture avec celui de la mysticité. On est des hébétés. On prend des vessies pour des lanternes. On n’est plus bon à rien. Bon à mourir. Voilà ce que je me dis en regardant l’époque, c’est-à-dire ce cercueil. Car je le contemple encore. Je regarde l’époque bien dans les yeux. Je me mettrai dans ce cercueil au moment opportun, mais pour le moment c’est l’époque que je vais mettre dedans. Elle s’y met toute seule. Pas la peine d’insister. Par contre nos contemporains semblent rechigner à s’y fourrer. Ils se fourrent dans l’époque, comme ils se fourrent le doigt dans l’œil. L’important pour eux est de paraître. L’important est de mystifier. L’important est de se raconter des bobards pour éviter de vivre. Et vivre c’est visiter le cimetière de nos contemporains. Comment je m’y prends pour considérer ce cercueil. C’est bien fleuri. La langue fleure bon. Elle est de bois. Il n’y a pas un contemporain qui n’a versé dans le mensonge. Et sa littérature n’a concerté que des concerné. Nous ne concernons que des contemporains concernés. Des contemporains dédiés à la cause du mensonge littéraire et non de la vérité. Ils visitent des cimetières. Ils sont loin des réalités. Quelles sont ces réalités. La réalité première est que toute l’époque finira dans ce cercueil. Nous allons droit dedans. Et il ne s’agit plus d’une seule génération, mais de toutes les générations. Depuis plusieurs siècles les générations ont façonné ce cercueil. Elles nous y ont projetés. C’est nous qui allons avoir cet honneur suprême. Il n’y a pas de mysticité là-dedans. Il n’y a pas d’esprit caché dedans. Il n’y a pas de fadaises. Il y a eu des littératures sans fadaises. Ces littératures se sont faites avec la sincérité toute première. La vérité de son auteur. Même si le vrai est abracadabrant. Même si sa vérité déjoue toutes les sciences. Il ne s’agissait pas de mysticité pour autant. De forces occultes. D’inventions arbitraires. C’était sa morale toute personnelle. Même s’il a cherché midi à quatorze heures. Il n’a pas cherché midi à quatorze heure pour rallonger la sauce de son roman. Il n’a pas épuisé toutes les techniques pour nous engrosser la tête. Il n’a fait que ce que lui dictait sa conscience. Et sa conscience n’était pas dans le foie. Sa conscience lui parlait de suicider son époque. Il lui fallait en finir avec toute l’époque. Une bonne fois. Et c’est comme ça qu’il a parachevé son œuvre. En terminant l’époque. Il a reclaqué la couverture du livre et a dit au suivant. Au suivant de ces messieurs mesdames. Qu’ils approchent. On va leur faire sentir de quel bois on se chauffe. Qui pourrait-on coller illico dans le cercueil. Quel contemporain digne de foi. Digne de sa foi et de sa mysticité toute mystique. Il n’y a que des curés dans l’époque. Ce n’est pas avec ce genre de curés qu’on pourra entreprendre quelque chose. Il nous faut des prêtres d’un autre bois. Il nous faut des croisés d’un autre âge et couronnés diversement. Seulement il n’y a personne. Tout le monde a foi dans la pensée et pas dans la poésie. Tout le monde ou presque. Presque tout le monde. En tout cas quelques-uns. Et non des moindres. Ils gardent foi en eux. Et pas dans la poésie. C’est pourtant dans la poésie qu’il faut arrêter l’hémorragie stupide du temps. C’est par l’écrit que vient la surprise du temps. Car il nous échappe. Il n’y a rien qui échappe plus au temps que l’écrit. Puisqu’il le diagnostique. Il est agnostique l’écrit. Il ne croit pas au temps. Il dialogue avec ses petites mains. Et il faudra bien faire des pieds et des mains avec le temps. Il en faudra des bras. Non seulement pour descendre le temps. On descendra le cercueil de l’époque. Il en faudra bien des petites luttes faites avec des petites mains. Plein de petites mains et de petits bras. Ce sont nos petits bras et nos petites mains. Ce seront nos petites luttes d’écriture qui feront transbahuter la vie.

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