Écrivain français, né le 13 mai 1941 à Bonsecours, bourg frontalier du Nord, marqué par une double présence : celle d’une vaste forêt de hêtres et de fougères et celle des charbonnages du bassin minier d’Anzin. Paysage qui reviendra anobli et sublimé dans le roman La Condition d’infini (quatre volumes aux éditions P.O.L) avec la description obsédante des collines boisées et des jardins du Wienerwald dont la géométrie presque mozartienne n’est pas sans lui rappeler la partition négative que suscite la vision des prairies, des mines, des terrils, des cressonnières, des nuages et de l’air remplis de poussières de charbon (image négative du monde).
Enfance fiévreuse. Crise de langage. Autisme. Implosion des mots. Découvre la musique, la peinture, le poème. À l’âge de sept ans il veut lire tous les livres. Ce qu’il fait à genoux devant le radiateur rose de sa chambre : Artaud, Bataille, Michaux, Kafka, Joyce, Gertrude Stein, Faulkner, Céline, Jouve, Cendrars, Rimbaud, Baudelaire. Il aime les dictionnaires où il trouve – en même temps – une réalité et une utopie. Ce qu’il veut à n’importe quel prix : parler ou plus exactement ouvrir la bouche. Énoncer.
Expérience du balbutiement. Épreuve du oui et du non, les seuls mots qu’il murmure. Les deux seules réponses qu’il peut opposer à l’univers. Enfant du placard, expérience de l’écoute hallucinée. Expérience du moindre bruit, de la moindre syllabe identifiable. Grande peur qu’il ne parvient pas encore à géométriser pour réduire, disperser la présence d’une catastrophe qui l’habite. Un grand silence recouvre tout.
Paris et la certitude de l’ouverture. Un livre vient à lui : Extraits du corps de Bernard Noël qu’il trouve fulgurant et où il se reconnaît (1958). Il lit un poème de Paul Celan qu’une amie lui envoie sur une carte postale : Sprachgitter (Grille, la parole) où il se reconnaît (1959). Il découvre Vienne et les acteurs (Freud, Musil, Wittgenstein, Loos, Otto Wagner) de l’Empire austro-hongrois (1960). Tente de mettre ensemble quelques mots. Décimale blanche long poème publié dans l’Ephémère n°2 (1967), puis au Mercure de France (1967). La parole semble retrouvée, fragile, toujours au bord de la disparition. Premiers livres. Monde à quatre verbes (Fata Morgana, 1970), Fut bâti, (Gallimard, 1973). Création d’une première revue aux éditions Brunidor : fragment (1970-1973), qui compte trois cahiers et publie entre autres Alain Veinstein, Bernard Noël, Roger Giroux, Paul Celan, Hubert Lucot, Gherasim Luca, Anne-Marie Albiach.1970. Mort de Paul Celan. New York et l’idée de la construction hélicoïdale d’un roman La Condition d’infini. Découvre les poèmes de l’écrivain américain Robert Creeley que les éditions Gallimard lui demandent de traduire. En 1971, le Mercure de France publie ses traductions des poèmes de Paul Celan : Strette qui seront reprises et augmentées en 1990 sous le titre de Strette et autres poèmes. L’expérience de la traduction aux côtés de Paul Celan lui sert pour aborder la traduction des poèmes à la fois simples, elliptiques ou abstraits de Robert Creeley dont il voit très vite - dès 1970 - la proximité avec le monde de Paul Celan : les traductions d’un choix de poèmes paraissent 27 ans plus tard sous le titre de La Fin (Gallimard, 1997). Livres aux éditions du Collet du buffle et Orange Export Ltd., entre autres : 1 7 10 16, n, m, u, l’Absolu reptilien. Il publie aux éditions Gallimard des poèmes écrits en mai 68 et déjà publiés dans un cahier de l’Ephémère par les soins de Louis-René des Forêts et André du Bouchet : Le Cri-cerveau. Entre temps il rencontre Paul Otchakovsky-Laurens alors directeur de la collection « Textes » chez Flammarion qui publie deux de ses livres en 1975 : Le Jeu des séries scéniques et 1, 2, de la série non aperçue.
1982-1990. Publication aux éditions P.O.L d’un long poème en quatre volumes : Narration d’équilibre qui est le tracé du roman qu’il est en train d’écrire : La Condition d’infini (éditions P.O.L, 1996-1997).
1989-1992. Vingt ans après l’expérience de fragment, crée aux éditions Fourbis une deuxième revue fig. dont les 7 numéros publient : Claude Royet-Journoud, Danielle Collobert, Robert Creeley, Panamarenko, Mario Merz, Roger Laporte, Emmanuel Hocquard, Jean-Michel Alberola, Toni Negri, Paul Celan, Gérard Garouste, Anne-Marie Albiach, Marcel Broodthaers.
En 1997, il confie aux éditions P.O.L le manuscrit de la Trilogie du temps où l’amour est abordé de trois manières différentes : suicidaire, guerrière, passionnelle, sous le signe des axes de le terre. La Trilogie du temps a la structure d’un triptyque avec son panneau central et ses deux volets mobiles susceptibles de se rabattre, donc de cacher la grande image principale.
La vie matérielle et professionnelle l’a incroyablement aidé dans son effort de retrouver la parole.
1958-1975 : il collabore en tant que rédacteur puis en tant que rédacteur en chef adjoint au travail d’encyclopédiste dans le cadre de la SEDE (Société d’éditions de dictionnaires et d’encyclopédies, Gallimard, Laffont, Bompiani). En 1975 il entre à France Culture où lui est révélée la matière vivante quasi fusionnelle de la parole (Grands Entretiens avec entre autres Julien Gracq, Borgès, Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub, Toni Negri, Francis Ponge, Christian Boltanski, Marguerite Duras, Raymond Hains, Wim Wenders, Roman Polanski, Hugo Pratt, James Baldwin, John Ashbery, Eugène Leroy, Robert Rauschenberg, – création des Nuits Magnétiques aux côtés d’Alain Veinstein – production d’émissions spéciales de longue durée : Un rêve américain, 12 heures ininterrompues consacrées à la poésie et à la peinture américaines, Franz Kafka, William Faulkner-Mississipi, Dylan Thomas. En 1997 la direction de France Culture lui confie un magazine hebdomadaire des arts visuels : Peinture fraîche diffusé chaque mercredi de 9 à 10 heures.
10 ans après l’expérience de fig., il crée en 1999 la revue Fin, sa troisième revue avec l’aide de la galerie Pierre Brullé (25 rue de Tournon, Paris VIe) : 25 numéros se suivent où il montre tous les états lisibles et visibles d’une page issue de l’écriture, du signe, du dessin ou encore de la photographie.
Sa mère meurt en 2006, l’année où cesse Fin. La même semaine il apprend que sa mère le déshérite et que son éditeur POL déprogramme Le grand incendie de l’homme pour ne plus le publier. Deux amis écrivains lui expliquent généreusement qu’une mère en a le droit, qu’elle peut l’écrire et qu’un éditeur en a le droit, qu’il peut le faire. Il écoute. Il observe simplement qu’il n’y a aucune différence entre être un fils et être un auteur car les chances de violence, de rejet ou d’exclusion sont identiques. Laure Adler prend le manuscrit et le publie aux éditions du Seuil : Le grand incendie de l’homme paraît en mai 2007 en même temps que la réédition par Yves di Manno de ses deux premiers livres publiés en 1975 dans la collection « Textes » créée par P.O.L justement.
Entre temps il accepte d’être le président du cipM (centre international de poésie Marseille) où il propose conférences (Ingeborg Bachmann), débats (Pierre Reverdy, pour dénoncer ses œuvres complètes épuisées chez Flammarion, expositions (Lars Fredrikson), soirées (Guy Debord avec projection de ses films), présentations (Roger Giroux dont il fait éditer au Théâtre typographique : Poème.
Eric Pesty éditeur réunit les cinq entretiens qu’Anne-Marie Albiach lui a accordés entre juin 1978 et janvier 2003, Anne-Marie Albiach : L’exact réel (2006). La préface que lui demande l’éditeur : Le poème pourquoi en sait-il plus que les mortels ? n’est pas autre chose qu’un véritable manifeste.
En janvier 2009, il publie chez Flammarion une enquête à propos de « L’inconnue de la cabane » sous la forme d’un poème narratif : Une femme de quelques vies, livre très chaleureusement accueilli par la Quinzaine littéraire et accompagné de la publication d’un essai saisissant de Werner Hamacher, philosophe allemand, ami de Jacques Derrida et traducteur de Jacques Lacan:Anataxe. Virgule. Balance. Le texte paraît dans une traduction de Michèle Cohen-Halimi chez Eric Pesty éditeur.
La direction de France Culture au bout de treize ans met un terme à l’émission Peinture fraîche en juillet 2009.
Il quitte France Culture, convaincu qu’il s’agit selon lui de "résister ailleurs plutôt que de survivre ici".
Il retourne à Vienne. Souvent. Il étudie la musique atonale d’Arnold Schönberg. Et celle d’avant, parce que le musicien s’est longtemps nourri de la musique de cabaret que celui-ci identifiait à celle de Brahms. Il étudie
Pierrot lunaire et la présence du Sprächgesang (le parlé-chanté-crié). Il y a quelque chose là.
Le 29 janvier 2011, Joerg Ortner meurt à Vannes. L’Ami meurt. Le peintre rêveur qui a pensé le mur. Toute une vie consacrée à une utopie : la fresque. L’Ami et le personnage de la
Condition d’infini (P.O.L, 1995-1997) sous le nom de Jan-le-maçon. Il lui rend hommage avec une exposition de son œuvre gravée et quelques pastels à Marseille au cipM. Un cahier de textes accompagne l’événement, où il publie les premières pages d’un récit autobiographique fait de souvenirs, flashes, retours :
Il faut laver le coeur de Rimbaud.
Il retourne à Los Angeles. Souvent. Il étudie la musique atonale d’Arnold Schönberg, son enseignement auprès de George Gerschwin, John Cage et les autres, nombreux. Il relit
Docteur Faustus de Thomas Mann qui a écrit le livre en s’inspirant du personnage d’Arnold Schönberg que fréquentait alors Adorno. Le philosophe allemand est le lien entre Schönberg et Thomas Mann pour la construction du personnage central : Adrian Leverkühn. Lorsqu’il aperçoit les lettres de Hollywood se détacher de la montagne, il pense à cette phrase d’Adorno : L’homme est tautologie, il invente le cinéma, il invente Hollywood pour continuer à représenter Auschwitz, et à faire des films. Il y a quelque chose là.
Il retourne à New York. Souvent. Il regarde un pilier du pont de Manhattan qui lui semble l’œil d’un cyclone. Il arpente le quartier. Il arpente les berges de l’East River, tourne autour du pilier. Quelque chose se prépare là.
Lectures publiques se succèdent (Paris, Rennes, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Montréal, Berlin). Les apparitions en public se succèdent. Il publie en mars 2012
L’Énonciateur des extrêmes (Nous, éditeur) – Il veut raconter l’Amitié, mettre des mots sur ce qui depuis toujours lui échappe. Comment dans l’amitié s’opère un transfert de pensée. Il s’explique ce qui lie Robert Creeley et Charles Olson.
Le 4 novembre 2012, Anne-Marie Albiach meurt brutalement à Paris. Il est à New York. Devant le pilier. Le mot MONSTRUEUSE l’envahit tout entier. Qu’il gardera peut-être comme titre possible. Il y a longtemps, en allant à la recherche de la poétesse américaine Lorine Niedecker dans le Wisconsin, il découvre l’endroit où elle vécut – le lac Koshkonong qui devient le titre de sa nouvelle revue (3 numéros par an publiés chez Éric Pesty, éditeur) : K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. Le numéro 1 est présenté à la librairie Tschann le 24 janvier 2013.Eté-Automne 2013.
12 juillet 2013 : Il inaugure l’exposition des livres illustrés ou non de Jean-Michel Alberola « Présentation des détails » qu’il propose au cipM. Moment important, car le visiteur découvre comment l’artiste travaille à partir des mots entendus ou lus et recopiés de carnet en carnet, de ticket de métro en bout de carton. Il explique dans
Le Cahier du Refuge n° Schönberg 224 : « Parfois, un homme se trouve ou s’invente un frère qui l’aiderait dans la connaissance de sa déconstruction et l’inviterait à se reconstruire. Il est ce frère. Je suis cet homme. Comment ? »
20 juillet 2013 : Il retrouve Los Angeles où il passe tout l’été. Sur les conseils d’une amie il découvre le marché d’Hollywood sans Marilyn Monroe ni Ava Gardner mais avec tous les fermiers descendus des montagnes avec fruits et légumes et des champignons rouges appelés
lobsters. Beaucoup de musiciens, beaucoup de guitaristes et de voix éraillées. Soudain il entend les sons étranges, frêles d’un groupe de six musiciens de la Nouvelle Orléans. Sur la poitrine de l’un d’eux une très ancienne planche à laver. Il imagine les eaux du Mississipi laver là tous les linges du monde. Sensation de jamais entendu. Le soir il poursuit la lecture de la correspondance Walter Benjamin-Theodor Adorno et tombe sur cette citation de Sade : « Une femme est une énonciation illimitée » et il ajoute mentalement : « Oui, avec les caresses d’une planche à laver ». Commence un cycle de poèmes érotiques dont il confie les cinq premiers à l’artiste Barbara Thadden pour le carton de ses dessins exposés à la galerie Samantha Sellem à Paris. Vernissage le jeudi 19 septembre.
30 septembre 2013 : Parution chez Hermann d’un essai sur son travail à la suite de deux jours de séminaire à Lyon en mai 2011, intitulé « Jean Daive : la partition » qui réunit sous la responsabilité d’Éric Dayre, directeur de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon les interventions des universitaires, écrivains, critiques, philosophes invités.
7 octobre 2013 : Soirée Jean Daive à l’invitation de la BNF à l’Arsenal. Lecture entre autres de « Décimale blanche » son premier livre, publié au Mercure de France en 1967 et réédité en 1977, aujourd’hui épuisé.
10 octobre – 31 décembre 2013 : Exposition des livres de Jean Daive au musée Rimbaud à Charleville-Mézières – Livre d’écriture – Livre d’artiste – Livre d’image. Affiche et carton de Jean-Michel Alberola. Lecture. Il lit entre autres « Objet bougé » (P.O.L éditeur). Pour l’occasion il écrit et compose un placard qui accueille les visiteurs dans le musée Rimbaud.
12 octobre 2013 : dans le cadre du Salon de la Revue, table ronde à propos de la parution du numéro 3 de K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. sa dernière revue qu’il publie chez Éric Pesty (voir Note d’intention sur le site EP)
13 octobre 2013 : Dans le cadre du Salon de la Revue, table ronde qu’il anime à propos du dernier numéro du CCP (Cahier Critique de Poésie) publié par le cipM, où il présente « Un Triangle » qui réunit trois œuvres singulières et passionnantes : Lorine Niedecker-Alejandra Pizarnik-Rosmarie Waldrop.
17 octobre 2013 : Montréal. Il est invité à l’inauguration d’un nouveau centre d’art et essai « La Poste » dirigé par Isabelle de Mévius. Il participe à un séminaire sur l’artiste Paul-Louis Bougies dont la rencontre a provoqué tout un cycle de poèmes qu’il lira au cours de la journée, cycle où l’apparition de l’homme s’identifie à l’apparition d’un faune.
8 novembre 2013 : à l’invitation de la Maison de la Poésie il propose une carte blanche. Il écrit une note d’intention. Voir site Maison de la Poésie.
29 novembre 2013 : à l’invitation du Festival international de poésie de Malaga il représente la poésie française et il lit « Le Retour passeur » (P.O.L éditeur) avec la traduction espagnole.
Il relit souvent l’oeuvre de Robert Creeley depuis la parution de
La Fin chez Gallimard en 1997. Il relit les poèmes, les essais et les proses. Il sait que quelque chose n’est pas clair, quelque chose ne passe pas, ne trouve pas les mots, quelque chose résiste au sens, à toute explication. Il se souvient des conversations qu’ils ont eues ensemble. Un point se précise du côté du temps conjugué des poèmes : le temps présent des poèmes cadre toujours - ici et maintenant, car Robert Creeley est le poète de l’instant. Mais de quoi est-il fait ? Cet instant n’aurait-il pas un temps à partager avec l’infini. Un temps dont parle Rainer Maria Rilke dans
Les Elégies de Duino à propos du regard du chien - le regard du chien est infini. Très tôt, Robert Creeley est orphelin de père et deux preuves subsistent qui marquent l’enfance : la trace des pneus de l’ambulance dans la neige et le chien du père auquel il s’identifie. Robert Creeley l’écrit et le répète : il vit comme un chien. Il s’agit alors de continuer à traduire les poèmes qui s’ajoutent à ceux qu’il a traduits à la demande de Creeley lui-même pour les lire à l’occasion de lectures publiques à deux voies. Trois au Centre Georges pompidou et une à la maison de l’Amérique latine. C’est presque une nécessité. Un jeune éditeur, Benoît Casas, passe le voir un matin et lui demande de les réunir accompagnés des trois entretiens qui existent et une préface où il développe l’idée d’un temps de l’animalité chez Robert Creeley. Le livre
Dire cela est la suite de
La Fin et paraît en mai 2014 aux éditions Nous.
Depuis qu’il est allé à la recherche de la poétesse américaine Lorine Niedecker dans le Wisconsin et qu’il a découvert le lac Koshkonong près duquel elle est née et a vécu toute sa vie, il veut créer une quatrième revue qui porterait le nom du lac (elle existe aujourd’hui et paraît aux éditions Eric Pesty - 3 fois par an).
Il veut aussi publier les textes qui ont à voir avec les paroles du mur, les paroles graffitées, les coeurs fléchés, légendés « pour la vie », tout ce qui s’écrit, se dessine sur un mur, messages bombés, signes, avis, affiches, un langage à la fois élémentaire et sacrifié. Pendant qu’il médite à sa table de travail, il reçoit un livre de Norma Cole
14000 facts et plus tard
More facts qu’il se met à lire et à traduire. Ce sont des bris et débris de langue, des morceaux de langue : ceux-ci manifestent la fin du monde, la fin d’un corps, la fin d’une pensée. Il prend conscience que ce qu’il est en train de traduire entre parfaitement dans le projet de la revue. Le livre de Norma Cole, quant à lui,
Avis de faits et de méfaits paraît chez José Corti en novembre 2014, avec une Préface où il définit le son même des poèmes. Il explique qu’il a entendu à Los Angeles sur le marché de Hollywood un jeune homme jouer d’une planche à laver qu’il avait nouée autour du cou. Il grattait l’ongle sur la partie métallique de l’instrument et provoquait un son inouï. Il insiste à propos de Lorine Niedecker et du livre
Une Femme de quelques vies (Flammarion 2009) qu’elle lui a inspiré. Elle lui a fait comprendre que l’extrême simplicité des poèmes et d’une vie est le chaudron où se préparent les mythes, comme se préparent les ragoûts de survie avec champignons, glands, pissenlits et des herbes, avec écureuil et carcasse de lièvre. Le livre en effet a été entièrement écrit sur les lieux mêmes de Lorine Niedecker tout autour de sa cabane, près du lac, dans la forêt, le long de la rivière, devant le Golf de Fort Atkinson. Le Golf : que faut-il entendre par là ? Un après-midi, il marche dans la forêt et voit rouler à ses pieds une balle. Il voit aussitôt un golfeur courir vers lui. Et il découvre plus loin un terrain très accidenté, une balle rouler et s’immobiliser au fond d’une excavation. Il comprend qu’il est dans un terrain de golf et dans un cimetière indien et que toutes les excavations correspondent à des tombes où se trouvent enterrés les Ancêtres. C’est le premier poème d’
Une Femme de quelques vies.
Le Musée Arthur Rimbaud de Charleville l’invite à faire une lecture dans son auditorium, accompagnée de l’exposition de ses livres d’artistes. Il montre des éditions originales de sa première revue Fragment avec « l’Oreille » gravée par Antoni Tàpies, ses livres avec Betty Goodwin, Jan Voss, Eduardo Arroyo, avec Pablo Palazuelo, les 25 couvertures de fin, sa troisième revue. Le soir du vernissage, il lit
Les Axes de la terre. L’événement est marqué par une affiche remarquable de Jean-Michel Alberola (« L’affiche sera jaune, de la couleur du désert », lui dit-il). L’artiste a aussi dessiné le carton d’invitation où se trouve imprimé en lettres acquarellées un texte en réponse à Jean-Michel Alberola et à Marcel Brootdhaers :
La question
est de
savoir si
l’écriture
existe
ailleurs
que sur
un
plan
négatif.
Il rencontre à Marseille, dans le cadre du cipM, le poète palestinien Ghassan Zaqtan dont il a lu
Comme un rêve à midi. Grande impression à la découverte des poèmes : visions de militaires dans les villes, présence des camps et des miradors, patrouilles dans les jardins, guerre, terreur, deuil, couvre-feu, tout cela adressé à sa fille, écrit avec une douceur peu commune, presque neutre comme pour inviter la culpabilité à se manifester même chez le lecteur. Trois écrivains français (Jean Daive, Jérôme Mauche, Jean-Charles Depaule) se retrouvent pendant sept jours à Ramallah au cours d’un atelier pour traduire trois écrivains palestiniens (Ghassan Zaqtan, Zuhair Abu Shayeb, Bashir Shallah) qui entre autres traduisent
Le Retour passeur lu en public dans l’auditorium du musée Mahmoud Darwich. Le livre Marseille/Ramallah paraît dans la collection Import/Export du cipM en mars 2015.
A la demande de Luc Bénazet en résidence, il compose une vitrine à la librairie « L’Odeur du Book », 60 rue Hermel, Paris 75018 à partir du 12 février 2015 pour un mois. Il l’intitule La Frontière, en hommage à ce qu’il appelle « Le Génie du lieu » dont il vient et aussi pour saluer le grand écrivain allemand Uwe Johnson, auteur de
Une Année dans la vie de Gesine Cressphal et de La Frontière.
C’est assis sur les épaules de mon père qui marche
à pas de géant que je découvre enfant, les pieds
couverts de furoncles, les choses de tous les jours
dans les maisons, dans les rues et les musées.
Les yeux voient, ils entraperçoivent des moments,
des images, des chefs-d’oeuvre, des triptyques selon
l’allure ou la vitesse. Tout est effleuré, tout est arraché,
éraflé. Le regard arrache, la fulgurance arrache.
Le monde est bougé.
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » Le rêve proustien, je l’oppose à une vie marquée par l’exclusion, dès la naissance dans le Valenciennois, et par la secousse tellurique. J’y reviens et je m’en explique. Ces deux principes d’affrontement, j’ai appris à en jouer comme d’un clavier. Après des années d’apprentissage, je me suis mis à l’épreuve d’une écriture qui doit rapprocher discontinu et disjonction sans autre urgence que d’énoncer le vrai.
Vivre, écrire. Le point où j’en suis (1).
Et les éditions Flammarion. Je me mets à la recherche de la poétesse américaine Lorine Niedecker (1903-1970) dans le Wisconsin où elle est née sur une presqu’île du Lac Koshkonong. Durant 10 jours, je marche dans les forêts et l’humidité des marécages. Je découvre la prolifération des mousses, des fougères, des champignons et une pénombre mi apaisante mi terrifiante. Je vis en m’identifiant à Lorine Niedecker : elle a passé sa vie dans une cabane sans eau et sans électricité. Pour vivre elle lave les sols de ses voisins et les cadavres à l’hôpital. Je prends des notes et les réunis dans
Une Femme de quelques vies (2009) qui initie un cycle que j’appelle
L’Alphabet d’un enfant. Ce premier livre est suivi de
Onde générale (2011),
Monstrueuse (2015),
Crocus (2018). L’intrigue est la parole, lorsque celle-ci énonce et n’énonce plus, lorsqu’elle se dédouble pour dédoubler le monde, se retire dans le vide et se dissout jusqu’à se manifester dans le babil, l’inconscient, le bégaiement ou les rêves exprimant un trouble d’esprit. Pour saisir un énoncé, il faut en mesurer les conséquences et franchir leurs vérités.
Le point où j’en suis (2).
Et les éditions de L’Atelier contemporain.À partir d’un trouble longtemps confondu avec l’écriture et l’image, un polyptique s’impose sous le titre : Le Monde encore une fois. Il réunit L’Exclusion (2015), Pas encore une image (2020), Penser la perception (2022). Comment s’est joué ce trouble ? Il y a ce qu’il faut regarder. Il y a ce qu’il faut lire. Il y a ce qu’il faut taire. Parce que : parole, image et silence dominent tout terriblement. L’Exclusion développe une méditation sur ce constat : ce que je regarde n’est pas ce que je vois. Pas encore une image en s’appuyant sur des entretiens enregistrés avec des artistes tels que Mario Merz, Daniel Buren, David Hockney, Christian Boltanski, Nan Goldin, témoigne de l’intercession permanente de la parole et de l’image : l’image n’est plus à regarder mais à lire et l’écriture n’est plus à lire mais fait image. La méthode de travail est la suivante : confronter textes et entretiens retenus comme témoignages d’artistes et ainsi mettre en regard entre elles toutes les pratiques usuelles. L’entretien opère ici comme test de sincérité (George Oppen) dans l’expérience de la création. Le témoignage marqué par la langue de chacun et de chacune a valeur de carotte de sondage géologique. Comment concevoir une telle densité géodynamique ? Penser la perception tente de localiser et de saisir selon un monde de sensations donc face à une fébrilité visuelle la problématique de l’instant. Comment surgit-il, s’arrête-t-il, s’incarne-t-il ?
La Condition d’infini.Je raconte vite. J’ai 13 ans. Je découvre
Les Filles du feu et Aurélia de Gérard de Nerval. Puis Faust de Goethe dans la traduction nervalienne, puis je découvre Wilhelm Meister de Goethe. Je veux moi aussi un jour écrire un roman d’apprentissage. Puis je parcours l’Europe, l’Amérique et l’Asie : je m’identifie à un personnage romanesque -- Jonathan Gofoo -- que j’appelle « délinquant impeccable » : il pratique l’impunité c’est-à-dire la vie élevée à une perfection zéro. Arthur Rimbaud écrit « Je est un Autre ». Jonathan Gofoo est lui-même et toujours un autre. Il se raconte et il éprouve les transferts successifs qui le maintiennent en vie et le propulsent de transfert en transfert à travers le monde et à travers lui-même. Qu’est-ce qu’un transfert ? Un processus au cours duquel sentiments de désirs inconscients se reportent sur une autre personne et l’actualisent jusqu’au comportement, jusqu’à la pensée et le langage.
Quarante ans plus tard j’ai rendez-vous avec Paul Otchakovsky-Laurens un mardi à 18h30 dans son bureau. Je viens avec une serviette verte et 7 dossiers verts qui correspondent aux 7 épisodes de
La Condition d’infini. C’est mon roman d’apprentissage et c’est la création du monde. Il regarde et me dit : « Prenons rendez-vous dans un mois, même jour et même heure. » À l’heure dite, il me fait asseoir, alors qu’il se tient debout, décrit un cercle de gauche à droite et un deuxième cercle et un troisième et ... un cinquième. Il se tient debout derrière moi et soudain - vacarme - il frappe le sol de son pied droit : « Est-ce que tout ça est vrai ? » J’entrouvre les lèvres. J’ébruite : « Oui. » Pendant qu’il publie le roman en 4 livres entre 1995 et 1997 je lui confie : « Il est vraisemblable que j’écrive un jour une suite, je veux dire par là un ou deux derniers épisodes. » Il sourit.
Les 7 épisodes racontent les périples de Jonathan Gofoo au cours d’une année universelle, à savoir sans date et à l’envers, soit d’un hiver à l’hiver qui précède : le Retour en arrière a commencé. Il traverse Paris, il traverse Vienne et le Wienerwald, de nouveau il traverse Paris et retrace son amitié avec Paul Celan. Il traverse les États-Unis à la recherche de Robert Rauschenberg, de nouveau il traverse Paris et il traverse Sainte Anne en compagnie d’un personnage : MacMak, psychiatre-confesseur et la confession ici est réciproque entre MacMak et Jonathan Gofoo. Traversée, périple et parcours, identification à l’autre toujours un autre. L’auteur dit Je. Le narrateur dit Je. Jonathan Gofoo dit Je, et le personnage du transfert dit Je. La question est celle-ci : Aimer par le désir permet-il à l’homme de s’exprimer aussi totalement que possible au plus près du vrai ? Une telle expérience qui schématiquement est une recherche de soi menée (comme une enquête est menée) par un homme sans pareils et sans qualités aboutit à un constat sévère : cette vie est de notre invention.
Comment une horlogerie programme un trouble.Début décembre 2017. Une matinée, je suffoque. La poitrine est paralysée, en feu. Je subis une secousse tellurique, le corps se bat et je me livre à un combat durant 3 semaines en écrivant ce qui devient le 8e épisode de
La Condition d’infini : L’Histoire est un processus sans sujet. Une secousse tellurique annonce la mort accidentelle de POL. Un an plus tard jour pour jour un orage d’une rare violence au-dessus de la lagune et je me mets aussitôt à écrire en 3 semaines le 9e épisode de
La Condition d’infini : La Cabane éclatée. Que racontent ces deux épisodes ? La double vie de Jonathan Gofoo : la même et une autre. Cette fois une date s’impose : 1953, mort de Staline. Le point de départ pour Jonathan Gofoo est le théâtre de marionnettes au jardin du Luxembourg pour le 8e épisode et la Cinémathèque française pour le 9e épisode. La traversée de l’Atlantique et une adolescence passée à New York près du pont de Manhattan pour le 8e épisode. La traversée de la France et l’appropriation de la chambre de Francis Scott Fitzgerald à Juan les Pins auquel il s’identifie dans le 9e épisode. Ainsi le roman d’apprentissage évolue-t-il de rencontres en rencontres au moyen du transfert d’apprentissage.
Le point où j’en suis (3).
Eric Pesty éditeur et les éditions des Crépuscules.Trois premières revues
Fragment, (3 cahiers, 1969-1972),
fig. (7 numéros, 1989-1992),
Fin (25 numéros 1999-2006). Ensuite K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. (21 numéros parus depuis 2013) et en octobre 2021
Brille-Babil, revue de l’essai, coéditée avec Jean-Michel Gentizon, psychiatre, psychanalyste, expert auprès des tribunaux, directeur des Éditions des Crépuscules.
Le point où j’en suis (4)
QuinzaineS.À la demande de
QuinzaineS, je tiens une chronique littéraire que j’appelle « Instants inactuels ». Depuis toujours j’admire l’oeuvre de Georges Braque : il fixe l’instant dans l’intemporel avec les ateliers, les billards, les guéridons, les compotiers, les personnages, enfin les papiers collés. Le critique allemand Carl Einstein développe cette idée et croise ainsi la pensée d’Aby Warburg : une oeuvre se bâtit autour de la mémoire y compris la mémoire de l’instant. Une oeuvre est un feuilleté de choses enfouies qu’elle révèle. Carl Einstein précise que l’instant est psychique et que l’entreprise de Georges Braque se confond à une anthropologie de l’image onirique.
Pour une non-suite.Il y a les éditions Nous et Benoît Casas avec entre autres la publication de Dire cela poèmes de Robert Creeley analysés dans « La Préface » sous l’angle de l’animalité. Eric Pesty a réuni les entretiens avec
Anne-Marie Albiach,
l’Exact réel (2OO6) et publié un essai hors du commun du philosophe Werner Hamacher :
Anataxe. Virgule. Balance.
Notes pour W de Jean Daive (2OO9). W dernier volet de
Narration d’équilibre (POL, I982-I99O°.
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