— Paul Otchakovsky-Laurens

Qu’est-ce que le Centre Pompidou pour nous, pour vous ?

05 octobre 2022, 08h52 par Frédérique Berthet

Centre Georges Pompidou

 

Conférence chorale sans partition

pour l’ouverture du Laboratoire d’histoire permanente

 

notation pour voix n°8

 

Vous dire quelques impressions d’un voyage au long cours

d’un voyage toujours en cours à Beaubourg

 

Quelques mots des images encastrées dans ce lieu historiquement fabriqué

images qui se sont imprimées à partir d’événements fondus en une longue chaîne tramée

dans des espaces dédiés à des activités pensées

des niveaux des plateaux des studios des musées

des galeries

des bibliothèques The Initials B. B.

des espaces reliés par des flux des liquides des fils des gaines de l'acier

 

Se tourner vers ce phare dans la nuit éclairé

confier que par sa permanence je suis rassurée

qu’à lui revient dans les tiraillements qui déchirent les voix qui cloisonnent les choix qui divisent la possibilité de tendre à l’unité par frottements juxtaposés judicieusement montés

 

Le centre

lieu de convergences conduites de l’utopie

Le centre

machine à aimanter les forces centripètes

 

Au plafond du forum le centre à ventre ouvert

ses tubulures ses structures

des bouches ouvertes des hauts-parleurs des sèches-cheveux du rouge du bleu

 

Le centre

dessiné pour abriter ce qui doit surgir – toujours l’inattendu arrive – sans être submergé naufragé en retour

 

Techniquement le bâtiment est conçu, ai-je lu, pour résister pendant deux heures à un incendie violent

deux heures…

hommage à Renzo Piano et à Richard Rogers qui ont pensé à nous protéger

 

On sait depuis – on a trop souvent pu apprendre depuis – que ce sont moins les courts circuits électriques que les hommes en feu qui déclenchent les incendies qui nous violentent en société

 

Et pourtant demeure

le sentiment profondément enfantin

que le centre sécurise

le centre sécurise l’enfant en nous – nous les enfants résidents de la République

 

Structurellement le centre est un défi, à ce défi nous voulons nous fier

on peut tranquille à petites foulées à grandes enjambées

on peut sans crainte se hâter d’aller au-devant de ce qui pourrait nous agiter secouer bousculer

 

Pas forcément les grandes bousculades annoncées sur papier

les scansions de la programmation les événements massifs les grandes expositions les rétrospectives intégrales les panoramas inédits les rencontres internationales

 

Un assemblage de surgissements hétéroclites peut parfois suffire

telle cette journée ordinaire hier les pieds sur terre des vies qui passent la coexistence des contraires :

 

un homme au sac en papier hélé par les agents de sécurité

le désoeuvrement inorganisé jadis joyeusement autorisé dès le hall d’entrée

un dos voûté masquant une toile de David Hockney

les feutres de Beuys entre lesquels j'aurais aimé me reposer

La Morte rouge une alcôve noire un écran blanc La Griffe écarlate un soliloquio les actualités No-Do du Général Franco enfin des nouvelles d’Erice – l’ami à qui parler

des mal logés mal chauffés des affamés des fins lettrés du raisin égrené dans la salle de lecture ouatée – de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère

près des escalators des visiteurs sans bagages des langues bigarrées la Tour de Babel la montée au ciel

une vue imprenable sur Paris

« Faut-il – s’est-il écrit lors d’une précédente tranche de travaux (1997) – faut-il faire payer la vue de Beaubourg ? » le matériel s’use si l’on s’en sert !

lieu voué à réduire les fractures – comment oser présenter la facture ?

 

Loin des néons des affiches XXL des transparences de la façade

me changent en effet dans le temps peut-être encore plus sûrement les micro-évènements accumulés indifférenciés les émotions non annoncées les déplacements sur feuillets millimétrés

les bulles d’oxygène les rebonds internes

 

Une voix à l’extrémité d’une baie vitrée :

 

une femme en jupe sombre cheveux courts accueille des hommes paisibles  conversations chuchotées

histoire déterrée

revues parlées

elle sappelle Marianne Alphant est écrivain journaliste

à la périphérie du centre ça bouge par glissements

un discret passage s’opère

de la voix manquante à la femme marquante.

 

Voilà, parmi les souvenirs possibles et les futurs envisagés

pour le Centre

pour le Centre constitué par nous qui faisons assemblée / coryphée

Voilà, ce je pouvais dire ce soir.

Frédérique Berthet

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