Lorsque POL a accepté de publier mon premier roman, en mai 1998, il m’a dit deux choses. D’abord : « Vous êtes un écrivain ». Son assurance m’interdisait (m’interdit encore) d’en douter, jamais. Et il a ajouté : « J’ai vocation à publier tout ce que vous écrirez ». Il a tenu parole, même lorsqu’il s’agissait de projets casse-gueule (traductions de romans américains dont il existait déjà des versions françaises, essai sur le cinéma dont il s’est peut-être vendu trois exemplaires).
Impossible de rien lui refuser : il y a deux ans, lorsqu’il m’a demandé de figurer dans son prochain film déguisée en « femme de petite vertu », je me suis contentée de rectifier (« Vous voulez dire en vieille pute ? »), et j’ai dit oui, évidemment. On a tourné, quelques jours après les attentats de Paris, la séquence du tripot où il transpose les démêlés passés de sa maison d’édition avec une grande banque. Petite troupe d’acteurs amateurs (auteurs, collaborateurs), nous nous sommes levés très tôt, encore sonnés par les massacres de la semaine précédente, nous sommes laissés maquiller en stars du muet et, dans cette galerie d’art où POL nous avait déjà réunis pour tant de fêtes, nous avons beaucoup bu, fumé, râlé, fait les sales gosses, entre les prises. Pendant aussi, mais cette fois sous la direction de POL, et filmés par sa femme, Emmie.
Il faut voir et revoir ce film, Éditeur. Pas seulement parce que, rien que dans cette scène, on trouve un roi du shaker oulipien, un faux Gabin plus Gabin que Gabin et des femmes de petite vertu manifestement pas habituées à porter de hauts talons (déconseillés de toute façon lorsqu’on travaille avec POL, la cour qui mène à ses bureaux a des pavés redoutables). Mais parce que tout ce que nous expliquons, nous, ses auteurs, depuis la mort de POL, sur lui, sa frénésie de lecture, son impatience, le lien exclusif qu’il nouait avec chacun d’entre nous, tout cela il le raconte, l’analyse et le met en scène dans ce film. Tout y est réinventé, réassemblé, rejoué. Tout y est vrai.
POL était aussi mon ami, et l’ami de mes amis, mais ça ne regarde que nous.