Condamné à 20 ans de prison, le cinéaste ukrainien a entamé la phase terminale de sa grève de la faim. S'il meurt, ce sera une "tache sanglante sur le drapeau russe".
Pendant que les équipes de toutes les nations sélectionnées jouent consensuellement au foot, le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov meurt de faim. Le 14 mai dernier il a entamé une grève de la faim pour protester contre son emprisonnement, après un procès qu’Amnesty international a qualifié de « stalinien ». Le 25 août 2015, il a été condamné à 20 ans de prison pour « organisation d’un groupe terroriste ». Il aurait cherché à faire exploser la statue de Lénine à Simferopol. Rien que le motif semble une farce.
Pendant que les nations heureuses d’être sélectionnées jouent en Russie, Oleg Sentsov, qui aime peut-être le foot, je n’en sais rien, tous les amateurs de foot ne sont pas des brutes épaisses, Oleg Sentsov en est au 45e jour de grève de la faim. Il proteste aussi contre l’emprisonnement de 65 autres prisonniers politiques en Russie. Pendant ce temps, le monde entier regarde avec enthousiasme deux fois onze types tapant dans un ballon dans un pays, la Russie, qui a annexé un grand bout d’un autre pays, la Crimée, et qui fait la guerre à tout ce que l’Ukraine compte de forces européennes.
Oleg Sentsov, né le 13 juillet 1976 à Simferopol, dans l’Oblast ukrainien, a perdu plus de vingt kilos, son fonctionnement rénal est fortement dégradé, son cœur souffre de carences conduisant à une hypertension morbide. Seuls les diplomates européens et quelques leaders ont appelé à boycotter ce jeu de balle, sans aucune conséquence dans les faits.
"Un corps squelettique en guise de trophée mondial"
A Kiev où je me trouvais il y a quinze jours, toute la place Maidan parlait d’Oleg Sentsov. A Odessa les gens pleurent la Crimée volée, ils la pleurent en russe car le monde est complexe : leur Crimée là-bas juste en face, les plages interrompues, la mer confisquée. À Odessa aussi on me demandait s’il n’y a qu’en Ukraine qu’on s’inquiète de l’injustice faite à Oleg Sentsov. Pendant que dans les stades et face aux écrans on « s’ennuie » devant l’équipe de France, c’est ce que les amateurs de mon entourage m’ont dit, plusieurs dents d’Oleg Sentsov sont tombées.
Le 21 juin les ambassadeurs des pays du G7 ont fait savoir être « très préoccupés » par sa situation. Oleg Sentosv, bientôt 42 ans et père de deux enfants, ne peut plus tenir debout face aux vertiges. Le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Thorbjørn Jagland, en visite à Moscou, a appelé mercredi 21 juin à sa libération.
Pendant que l’Allemagne « perd » et que la Suède « gagne », Oleg Sentsov, détenu dans une colonie pénitentiaire à Iamal, au-delà du cercle polaire – dans un goulag, donc – Oleg Sentsov a entamé la phase terminale de sa grève de la faim: celle qui commence après le 40e jour.
Pendant qu’on scrute les performances de Messi, Sentsov a consommé tous les lipides disponibles dans son corps et se nourrit désormais de ses propres protéines, d’abord de ses muscles, puis de ses organes vitaux. Personne n’a jamais survécu plus de 70 jours à une grève de la faim, le seuil létal se situe après les 40 jours.
Les grévistes de l’IRA, que Thatcher a laissé mourir, sont tous morts entre 46 jours et 70 jours de grève de la faim, avec une moyenne autour de 60 jours. Cette fichue compétition de foot, opium du peuple et jeux du cirque, est en train de gagner un corps squelettique en guise de trophée mondial. Et il y aura une tache sanglante en guise de drapeau russe, si Poutine ne libère pas Sentsov.
Cet article a été publié en ligne le 28 juin 2018 sur le site Bibliobs