sauter dans l'inconnu les yeux ouverts.
(ou y être poussé).
ce qui a lieu est inédit, au sens de « qui est entièrement nouveau, non expérimenté ou éprouvé ».
ce qui a lieu est inouï, au sens de « qu'on n'a jamais entendu auparavant ».
ce qui a lieu est inconcevable, au sens de « qui ne peut être représenté comme réel par suite de nos habitudes d'esprit ».
ce qui a lieu est indescriptible, au sens de « qui ne peut être décrit en raison de sa complexité ou de son extravagance ».
ce qui a lieu n'est peut-être pas totalement inimaginable, mais pour l'imaginer n'est-il pas nécessaire d'accepter de ne pas, de ne plus savoir ? d'accepter de ne pas, de ne plus comparer au connu, au passé ? d'accepter de cesser de se référer à ses catégories, certitudes, croyances ? car même si ce qui a lieu nait de ce qui a existé, ce qui a lieu n'a jamais existé (en tout cas pas comme ça) et ce ne sont pas les efforts pour s'acharner à revenir à la normale qui vont changer cela.
même si ce qui a lieu nait de ce qui a existé, ce qui a lieu n'a jamais existé
mais, me dis-je, si ce qui a lieu nait de ce qui a existé j'imagine que chacun.e d'entre nous accède à des bribes de compréhension concernant ce qui a lieu, détient une parcelle de vérité à propos de ce qui a lieu. et si c'est vraiment le cas, ce que j'espère, ce qui a lieu ne peut pas [en tout cas ça ne semble pas donner de résultat pour ce que j'en sais], ce qui a lieu ne peut pas - je le crains- être découvert par le mode opératoire habituel que je trouve assez tranchant pour ma part et qui ressemble souvent à (en très gros) : j'ai raison et tu as tort (voire : et j'ai le droit de t'insulter si tu n'es pas capable de penser cela ainsi comme moi). il ressemble en tout cas assez rarement à : je prends le temps d'écouter pour essayer de voir où je peux te rencontrer pour voir le point d'intersection, les superpositions.
même si ce qui a lieu nait de ce qui a existé, ce qui a lieu n'a jamais existé
comment (et ça me parait urgent) se donner la possibilité d'enquêter avec un regard neuf pour essayer d'imaginer l'inimaginable qui est là invisible sous nos yeux, depuis toutes sortes de points de vue ? (avec discernement bien sûr, je ne dis pas que tout vaut tout, mais excommunier à la moindre divergence ne me parait pas très efficace pour faire émerger l'image d'ensemble, et en ce moment, ça me parait urgent). comment si, plutôt que comparer nos opinions, l'on ne se relie pas profondément à l'expérience que l'on est en train de vivre, comment parvenir à prendre pied - agir donc - dans cet inimaginable qui vu du futur est totalement limpide (vu du premier confinement aussi, un peu, avant que la fenêtre ne se referme). au point que nos petits enfants se demanderont à leur tour en se grattant la tête : comment n'ont-iels pu rien voir ?
même si ce qui a lieu nait de ce qui a existé, ce qui a lieu n'a jamais existé
est-ce parce qu'iels regardaient vers le passé (en croyant que c'était le présent) ? est-ce parce qu'iels vivaient dans le passé (en croyant que c'était le présent) ? est-ce parce qu'ils pensaient depuis le passé (en croyant que c'était le présent) ? est-ce parce qu'iels pensaient (et se disputaient) depuis un cadre de pensée périmé (du passé) dans lequel n'entrait pas ce qui avait lieu sous leurs yeux (le présent) ?
comment sortir d'un cadre dont on ignore jusqu'à l'existence et qui n'existe que par cette ignorance même ? comment sauter au travers pour s'offrir combien de choix inédits, inouïs, inconcevables, indescriptibles encore non vus ? sachant que garder les yeux fermés n’empêchera pas le saut : le choix est aujourd'hui, je crois, entre sauter à sa propre manière et ensemble depuis là où l'on se trouve (ou l'on croit se trouver) dans l'inédit, l'inouï, l'inconcevable, l'indescriptible… ou y être poussés brutalement (par d’autres plus ou moins bienveillants, plutôt moins que plus).
qui est prêt.e à sauter les yeux ouverts ?
qui veut être poussé ?